En 1789, avec la rédaction des cahiers de doléances, un vent de protestation s’élève contre les plus détestés des droits de l’Ancien Régime : les dîmes. Elles ponctionnaient au profit du clergé « décimateur » les principales productions végétales — blé, fourrage, chanvre, vin — et animales — veaux, cochons, agneaux et volailles. Chaque année, 6 à 12 % du produit agricole allaient ainsi dans les granges ou les celliers des moines et des dignitaires ecclésiastiques de la ville voisine.

En Champagne, un journalier d’Hannogne-Saint-Rémy (Ardennes) témoigne de l’espoir qui règne alors chez les cultivateurs : « On dit que nous n’aurons plus de moines ; plus de dîme, plus de droit du seigneur ; tout le monde dit que c’est une bonne chose. »

Alors que les États généraux se transforment en Assemblée constituante, les paysans poussent à la suppression, ou au moins à la réduction, de ce prélèvement haï. En Beauce, à la veille de la Saint-Jean, le curé de Thivars (Eure-et-Loir), Denis Boutrouë, également exploitant agricole, engage son personnel pour les travaux d’été et la levée de ses dîmes. « Du 23 juin 1789. J’ai loué le maître d’école pour la moisson prochaine depuis la première gerbe jusqu’à la dernière à condition qu’il ramasserait ma dîme. […] Il a demandé l’affranchissement de la dîme sur ses oies. »

Dans le Nord, à la fin de juillet, 400 femmes venues des campagnes font leur entrée à Lille pour demander aux chanoines de Saint-Pierre d’accorder aux indigents un tiers de leur dîme. Sous la pression, les ecclésiastiques cèdent. Tout à côté, dans sa correspondance avec sa femme, le fermier Lepoutre ne dit pas autre chose : « J’ai appris que dans notre province, on se refusait au paiement de la dîme et [que leurs receveurs] ne veulent plus payer que trois par cent et, de ces trois, il sera réservé un tiers pour les pauvres. » Les chanoines du chapitre de Cambrai signalent que « les habitants de leurs environs étaient dans la résolution de ne plus payer la dîme non plus que les Flamands ».

Supprimée en principe par le décret du 11 août 1789 et déclarée rachetable, la dîme n’est entièrement abolie qu’au 1er janvier 1791 en vertu d’un décret de l’Assemblée constituante d’avril 1790. Sur le terrain la perception ne s’applique plus partout. Et souvent il ne s’agit que des redevances secondaires, les « menues dîmes », réservées au curé. À Silly-en-Multien (Oise), le maître d’école lève une dernière fois la dîme des agneaux.

Les principaux propriétaires de moutons, les grands fermiers, ne semblent pas ultra-révolutionnaires. Il est vrai qu’il ne s’agit que d’une menue dîme destinée au clergé local. En Beauce, l’année 1790 marque les dernières menues dîmes du curé de Thivars, qu’il partage avec la fabrique paroissiale. Encore ne portent-elles plus que sur les agneaux et sur les oies : la dernière dîme de vin remonte à 1789. Dans ses comptes, notre curé-cultivateur de l’Eure-et-Loir rappelle que ce sont surtout les femmes, chargées du menu bétail et de la basse-cour qui règlent les redevances.

L’extinction des dîmes fut un grand bienfait pour les cultivateurs quand leurs propriétaires ne les reprirent pas pour augmenter les fermages.