Il est exceptionnel de retrouver le journal d’un paysan du XVIe siècle. Et encore plus d’y découvrir ses émotions. C’est pourtant le cas de Jean Le Coullon, un laboureur-vigneron lorrain, aux portes de Metz. Il y relate les grands épisodes de sa vie familiale, alors que son pays était plongé dans les guerres entre des Valois et des Habsbourg. De tous les enfants nés dans le ménage de ses parents, seuls trois survivent : « Ma nativité et commencement en ce monde fut par la grâce de Dieu au mois de février 1525. Mes père et mère ont eu plusieurs enfants jusqu’au nombre de 13. Mais ils sont morts avant qu’être mariez, fors (1) Jean Le Coullon, l’aîné âgé de 6 ans plus que moi, et ma sœur Frémine, de 4 ans. »

En 1530, arrivé à l’âge de 5 ans, notre scribe entre à l’école de son village. Il explique son parcours scolaire : « Étant parvenu à l’âge de 5 ans, mon père me fit aller aux écoles à Ancey (2) auprès de plusieurs prêtres et magister. Ayant 8 ans, je fus envoyé à Corney (3) auprès d’un prêtre nommé Maître Jean Gogney qui m’apprenait latin. […]. Je ne fus auprès de lui qu’environ 10 mois. Après je fus renvoyé devant des prêtres à Ancey qui ne savaient latin. »

Pour le jeune Jean Le Coullon, l’année 1542 inscrit une césure. La reprise de la guerre entre François Ier et Charles Quint livre les campagnes au logement et au ravitaillement des soldats. Un fléau en appelant un autre, dans la mémoire de ce chroniqueur paysan, le dérèglement des saisons touche la production agricole. « L’an 1542 fut le commen­cement de douleurs. Car au mois de juin, le Roy François, premier du nom, déclara la guerre contre l’empereur Charles. » Les soldats viennent camper au village. « Ils furent 30 jours à Ancey et étaient en nombre de 1350. La dépense qu’ils firent fut grande excessivement. Il n’y eut logis, portant l’un l’autre, qu’il n’y fût bu 3 queues de vin. Ils tuèrent environ 1 000 moutons sans les bœufs et vaches. »

Alors les années noires se succèdent. Aux ravages des troupes s’ajoutent les désastres climatiques. À cause des « froidures et grosses pluies qui vinrent […] les blés et vins ne furent guère bon. On vendangeait une partie au mois de novembre et n’y avait plus de feuille aux vignes dès la Saint-Remy. » Enfin, surcroît de malheur, la peste survint durant l’été 1553. Les parents et deux enfants sont touchés. La mère en meurt comme le troisième enfant. Jean Le Coullon est au désespoir : « Le 23 juin 1553, mon 3e fils Jean fut frappé de la peste tellement qu’il plût à Dieu le retirer de ce monde, le 28 dudit juin, au 9 heures du matin. Il ne fut en ce monde que 3 ans 7 mois 5 jours et demi. J’en pris si grand déplaisir que je ne me pouvais consoler. »

Le 8 juillet suivant lui-même est frappé par la peste et en devient « fort malade ». Il se croit perdu, tout comme ses parents, mais parvient à en réchapper. Tel n’est pas le cas de sa femme qui succombe le 14 juillet. Sa disparition lui arrache des regrets déchirants. : « J’avais une douleur véhémente de la mort de ma femme plus que je ne puis écrire. C’était aussi une femme des plus vertueuse qui fut au monde. » Bien des paysans d’alors connurent un destin comparable.

(1) Excepté. (2) Ancy-sur-Moselle. (3) Corny-sur-Moselle.