Qui ne connaît pas la transhumance ?Le printemps arrivé, le grand troupeau — l’« abeillier » en Provence, la « parjade » en Vivarais — prend la « route », désertant les plaines surchauffées pour gagner la fraîcheur des lieux d’estivage des montagnes. Les longs parcours suivent de larges pistes, bordées de murets de pierre sèche — les « carreires » de Provence et les « drailles » languedociennes — que les cultivateurs doivent laisser ouvertes au milieu des champs.

Dans ce nomadisme ordonné se succèdent, derrière les chefs de troupeau, femelles et mâles castrés par centaines, accompagnés des chiens de garde, des mulets de bât et des maîtres, ces « bayles » mandatés par les propriétaires du bas pays pour acheminer sans encombre tout ce petit monde vers les hauts pâturages loués aux montagnards. Enfin, dans la fraîcheur des estives, le troupeau arrive, sous un concert de sonnailles solennisé par une fête religieuse, en l’honneur de Notre-Dame que les bergers vénéreront à nouveau, lors du départ, à la « dévalade ».

Des migrations saisonnières

La transhumance correspondait aux déplacements d’animaux entre régionsoù les ressources herbagères variaient dans l’année. Entre les plaines et les plateaux libérés de leurs moissons à l’automne, dont les pâturages étaient épargnés par les froidures hivernales, et les montagnes pastorales dégagées des grands froids et des neiges à la fin du printemps, riches en herbages et en eaux courantes au long de l’été, une sorte de compensation s’était instaurée.

Cependant, l’opposition entre plaines et montagnes n’était pas la seule à commander la transhumance : les massifs forestiers avaient aussi leurs formes spécifiques, avec la transhumance d’automne pour les cochons. Il y avait également un estivage de proximité, qui assurait une simple circulation intérieure unissant des zones inégalement favorisées au point de vue pastoral. Ce déplacement à faible distance, mais à forte dénivellation, mobilisait une partie du personnel des villages de vallée. Il requérait aussi une stricte répartition géographique des pâturages qui pouvait varier selon l’avancement de la saison.

En élevage, le mois d’août a joué partout un rôle essentiel.

Ces migrations saisonnières assuraient des échanges multiples. En Corse, la location de pâturages côtiers par les grands propriétaires aux bergers de l’île faisait descendre du Niolu les troupeaux chaque hiver dans la plaine maritime au sud-est de Bastia. En Auvergne, les moutons de la Limagne gagnaient chaque été les montagnes plus fraîches. Sur les monts du Forez, de mai à octobre, des centaines de hameaux envoyaient pacager leurs vaches. L’aire pastorale occupait les sommets : 10 000 ha, parfois au-dessus les 1 300 m d’altitude.

C’était la « montagne », la troisième composante des finages (1), après la zone de culture et l’espace forestier, vouée au parcours estival du troupeau des communautés. Ces allées et venues saisonnières entre fermes et « jasseries » se retrouvaient dans les autres massifs montagneux. Dans les Alpes, d’une vallée montagnarde aux alpages, les déplacements revenaient sans cesse comme pour ces habitants de Tignes qui, en 1748, conduisaient 200 moutons en Beaufortain à travers le col de Roselend. En élevage, le mois d’août a joué partout un rôle essentiel : il régénérait les troupeaux et, en même temps, le budget des paysans.

(1) Territoire exploité par une communauté villageoise.