L’enquête fut ordonnée par Napoléon III en 1866 pour connaître la situation et les besoins de l’agriculture. Il s’agit de la plus grande investigation organisée par un État en Europe au XIXe siècle. Elle a été réalisée dans les 89 départements français de l’époque et, plus originale, à l’étranger dans 31 États sur 5 continents différents.
Pour connaître les raisons de cette étude, il faut revenir quelques années en arrière. En 1860, Napoléon passe un accord de libre-échange avec le Royaume-Uni qui sera suivi d’autres traités avec des pays européens. L’objectif principal est de faire baisser le prix de l’alimentation pour la classe ouvrière. Pour la première fois, l’agriculture française doit faire face à la concurrence étrangère.
Les années qui suivent, l’Europe connaît d’excellentes récoltes de blé qui engendrent une baisse des prix et le mécontentement d’une partie des exploitants, essentiellement les grands propriétaires ruraux. Pratiquant une agriculture commerciale, ce sont eux les plus impactés, car les paysans vivent en autarcie. Opposés au régime de Napoléon III, ces notables critiquent le libre-échange espérant ainsi priver l’Empereur de son principal socle électoral : les ruraux. Connu comme « l’empereur des paysans », Napoléon craint de les perdre et décide donc d’organiser une enquête pour rassurer la paysannerie.
La consultation a donc un rôle avant tout politique. Plus que de connaître leur opinion, les enquêteurs sont des missionnaires orientés, chargés d’expliquer en quoi le libre-échange est la bonne solution. En France, l'enquête se passe de septembre à décembre 1866 dans les préfectures et les sous-préfectures, sur la base d’un questionnaire de 161 articles. Ne sont entendus que ceux qui peuvent s’y déplacer. Sur le fond, la consulation n’apporte pas grand-chose, toutes les doléances sont connues, l’important est plutôt ce qu’elle provoque. Elle a servi de creuset à la constitution des organisations professionnelles agricoles. La Société des agriculteurs de France (Saf) créée en 1867 est la conséquence du mouvement d’opinion initié par l’enquête.
La presse agricole occupe une place essentielle tout au long du processus avec pas moins de 170 pages publiées sur le sujet entre 1866 et 1870. Elle donne aussi une impulsion décisive à l’enseignement agricole avec une volonté d’instruire sur la matière agricole dès le primaire.
Mais le plus gros impact reste celui sur les mentalités. L’enquête légitime la petite exploitation rurale pour sa résistance face aux crises économiques et sa capacité à freiner l’exode rural. Paradoxalement, elle sert de passerelle entre une agriculture vue comme un mode de vie à celle d’une activité professionnelle. Cet événement oublié marque une transition entre un modèle agricole de subsistance et un modèle plus capitalistique.