Estampe humoristique de Charles-Émile Jacque, parue en 1843 dans le quotidien satirique Le Charivari. ( ©  CC0 Paris Musées/Musée Carnavalet – Histoire de Paris)

En 1808, le médecin Delaguette découvre la misère noire, à la fois physique et morale, de certains paysans de l’Entre-Deux-Mers. Le passage d’un loup enragé met en lumière la détresse de certaines familles, le sort intraitable infligé aux jeunes gardiens de bétail, la violence des réactions de leur entourage et même l’état d’abandon dans lequel les victimes sont laissées. Tout dénote ici un climat de sauvagerie. Le sort réservé à une petite bergère de sept ans, Catherine Ballan, illustre le paroxysme sur un double plan.

Tout d’abord, l’effet de la terrible maladie elle-même : « Catherine Ballan, demeurant sur les limites les plus éloignées de la commune de Saint-Germain-de-Grave (Gironde), près la forêt de Barbot, est morte le 18 de ce mois à une heure après minuit, après avoir manifesté tous les symptômes de la rage. Elle faisait des hurlements effrayants et rauques, entrait en convulsion et s’élançait sur ses parents pour les mordre. Ceux-ci, épouvantés, appelèrent à leur secours des voisins qui parurent devant elle armés de fourches de fer, dont ils dirigeaient la pointe contre elle.

Cette attitude menaçante lui en imposa assez pour permettre de la saisir et de la lier dans son lit. Elle avait horreur des liquides et n’avalait les solides qu’avec beaucoup de peine, se plaignait de vives douleurs à l’estomac, et frémissait à l’aspect d’une lumière trop vive du jour, ou d’un flambeau. Calme dans le jour, elle suppliait ses parents de la délivrer de ses liens, en les assurant qu’elle ne leur ferait point de mal et surtout qu’elle ne les mordrait pas.

Elle leur témoignait même alors beaucoup d’intérêt. Mais vers les 10 heures du soir, un nouvel accès parut avec toutes les fureurs et les symptômes de celui de la veille. Vers une heure après minuit, on lui offrit une seconde cuillerée d’eau. Elle en eut une si vive horreur et éprouva une douleur si violente à l’estomac qu’elle mourut sur le champ. »

La rage mortelle de Catherine Balland dévoile la cruauté de ses parents miséreux.

La sauvagerie dans laquelle la victime est traitée par ses proches n’est pas moins dramatique : « Quelques personnes ayant vu la plaie affreuse que cette enfant avait à la joue gauche eurent l’imprudence d’assurer à ses parents et devant la malade que quelque remède qu’on employât, elle n’en mourrait pas moins d’hydrophobie. Ces gens-là ont donc absolument négligé ceux que j’avais prescrits. Monsieur Dupuis le leur ayant fait faire malgré eux en sa présence trois fois, ils eurent la cruauté de l’envoyer garder leurs troupeaux le corps tout couvert d’onguent mercuriel. »

La cruauté de ces Thénardier de campagne ne s’arrête pas là : « Plus inquiets sur le sort d’un âne qui avait été mordu aussi par cette louve que sur celui de leur fille, ces parents barbares osèrent aller réclamer pour lui chez Monsieur le maire les remèdes destinés à cette malheureuse victime de leur cruelle indifférence. Forcés par Monsieur le maire de tenir cet âne renfermé chez eux, ils obligeaient une autre de leur fille de lui apporter à manger et, cet animal étant malade, de présenter à sa bouche le foin qu’ils lui destinaient.

Cet âne, devenu enragé, au lieu de saisir un jour le foin qu’elle lui offrait, lui mordit un bras, qu’elle dégagea soudain d’entre ses dents en y laissant un des tabliers. » Sans aucun doute possible, les portraits au vitriol donnés par Balzac ou Hugo à la misère paysanne correspondent alors à bien des réalités.