À la fin de l’époque napoléonienne, et alors que les déboires s’accumulent avec le repli de la grande armée, il faut trouver sans cesse de jeunes recrues. Les jeunes gens des campagnes sont à la merci de la conscription. Ils doivent tirer au sort en évitant de tomber sur les premiers numéros.

En cas de mauvais tirage, et pour éviter le départ à l’armée, qui compromettrait la bonne marche de nombreuses exploitations agricoles, la seule solution, tient à divers procédés, souvent au prix de sacrifices financiers très coûteux.

Au début de l’année 1812, un cycle infernal s’enclenche pour Gilbert Clain, second fils d’un fermier du nord de la Seine-et-Marne, qui est mobilisable l’année de ses 20 ans. Dans ses mémoires, il en rapporte (avec son orthographe) toutes les étapes, survenues à chaque fois en début d’année.

« Ici on a commencé les tourments et chagrins de ma famille pour le sort de ma conscription, qui est arrivé le 11 janvier 1812. J’ai tiré au sort le 20 du même mois et obtenu le n° 91. Il fallait 120 000 hommes pour la levée de cette année. Le contingent était de 52 pour notre canton et nous étions pour le tirage du canton 119. À cette époque, la guerre de Russie exigeait une grande quantité de soldats et l’on craignait que mon numéro soit atteint. »

Gilbert Clain, fils de fermier, dépense de plus en plus pour éviter la mobilisation

La famille Clain décide alors de procéder à une substitution, c’est-à-dire à une inversion des numéros tirés avec un volontaire moyennant 1 000 francs. « Dans l’espoir de bien faire, nous avons substitué avec le nommé Jean-Baptiste Dagneau, de la commune de Saint-Soupplets le n° 91 pour le n° 107. Cette substitution a été faite le 19 février, même année, devant le conseil de recrutement à Melun.

Nous sommes convenus que je lui payerai 500 F aussitôt ce changement fait ; et si le n° 91 venait à être appelé, aussitôt la réception du conseil de recrutement, je lui verserai 200 F et encore 300 F pour les frais et équipement, ce qui fait une somme de 1 000 F. Ce sacrifice fait, nous étions sous le coup de l’appel du n° 107. »

Dans l’intervalle, un certain Joseph Partiel se présente pour le remplacer : « Nous l’avons nourri et gardé chez nous depuis le mois de juin 1812 jusqu’à la fin du mois de décembre. » Pour autant, le salut n’est que provisoire : la conscription de 1813 se présentant, Partiel voyant que le n° 107 n’était pas appelé se vend comme remplaçant auprès d’un conscrit. Or les levées d’hommes se poursuivent et cette fois, il faut débourser neuf fois plus cher pour un nouveau remplaçant :

« Le 3 février 1813, le n° 107 fut appelé, fallut chercher un remplaçant pour être présenté à Melun. Le 8 du même mois, nous avons rencontré à Paris un nommé Gillot, homme marié du département de la Moselle, moyennant la somme de 7 200 F et 1 800 F pour les frais et équipement. »

Les frais atteignent alors à 10 000 francs. Tout n’est pas fini pour autant. Les personnes qui conseillent son père dans « cette terrible affaire » lui disent que pour ne pas être soldat, il fallait être marié nécessairement. Qu’à cela ne tienne ! « Le 30 novembre 1813, je fus marié civilement. »

Les soucis reviennent en 1814 : le 10 janvier, Gilbert est appelé à revenir tirer au sort cette fois comme homme marié « sans enfant ». En obtenant le n° 91, il regagne ses foyers définitivement car son contingent n’était que de soixante appelés. Mais après toutes ces ponctions, son père ne pourra pas lui accorder la dot qu’il escomptait pour s’installer.