Les conclusions du groupe de travail de l’Assemblée nationale sur la séparation de la vente et du conseil des produits phyto, présentées le 12 juillet 2023, sont sans appel. Les deux rapporteurs, Dominique Potier (député PS, Meurthe-et-Moselle) et Stéphane Travert (député Renaissance, Manche), font état d’un bilan « très mitigé » de cette réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2021 dans le cadre de la loi Egalim 1 de 2018. Cette réforme était « louable dans son objet initial » mais son impact sur l’usage des phytos est « faible », écrivent-ils.

Selon les rapporteurs, « l’obligation de séparation entre la vente et le conseil spécifique n’est pas respectée sur le terrain ». Ils estiment que « le passage d’un conseil formalisé à une absence de conseil ou, plus souvent, à un conseil oral et informel délivré par les vendeurs malgré l’interdiction paraît avoir diminué la qualité du conseil et serait génératrice d’insécurité juridique. » C’était aussi un frein pour le déploiement des CEPP.

Goulot d’étranglement

Mais ils pointent aussi « le goulot d’étranglement » observé pour obtenir le conseil stratégique phyto (CSP), une autre des mesures phares de la réforme. Il est renouvelable tous les deux, trois ans, le premier devant être réalisé avant le 1er janvier 2024 pour tout renouvellement de Certiphyto, certificat nécessaire pour acheter des produits. Environ 235 000 agriculteurs sont concernés (sont exemptées notamment les exploitations en agriculture biologique ou en cours de conversion, celles certifiées HVE 3…).

Reste que seuls 11 000 CSP ont été réalisés (août 2023) par les chambres d’agriculture. Ces dernières représentent « environ la moitié des conseils stratégiques délivrés », l’autre moitié est effectuée par d’autres structures (conseillers indépendants, centres de gestion…). « On estime qu’on peut encore en faire 20 000 d’ici à la fin de l’année », anticipe Philippe Noyau, élu à Chambres d’agriculture France. Et de préciser : « Nous avons 130 conseillers ETP mobilisables, avec un haut niveau d’expertise. » Le prix de la formation varie entre 200 et 600 euros selon la diversité des filières de l’exploitation ; la modalité (individuelle ou collective par groupe de 5 à 10 participants, cette dernière représentant 75 % des agriculteurs) ; la demande d’une saisie de certaines informations en amont (IFT, assolement…) ou au contraire, le calcul de l’IFT inclus dans la prestation.

Lourdeur administrative

Beaucoup sur le terrain reprochent également au CSP sa lourdeur administrative. « Une formation prend 1,5 jour en moyenne. La grande partie du travail, c’est de rassembler tous les éléments pour remplir les indicateurs et les tableaux demandés dans le diagnostic. Quand vous avez passé tout ce temps-là, il ne reste qu’une petite partie pour aborder les questions techniques sur la réduction des phytos », fustige Christian Durlin, administrateur à la FNSEA.

Au-delà de cet enjeu technique, la profession agricole est unanime pour dire « qu'on va droit dans le mur ». « Depuis plusieurs mois, nous avons tiré la sonnette d’alarme pour dire qu’il était impossible d’arriver aux objectifs fixés par le ministère de l’Agriculture », tempête Christian Durlin. « La dynamique est là, on observe une vraie accélération ces dernières semaines, mais tout le monde ne sera pas prêt dans les temps », confirme Philippe Noyau. Au final, « plus de 200 000 exploitations risquent de se retrouver dans l’impasse au moment du renouvellement de leur Certiphyto d’ici à janvier 2024 », estiment Dominique Potier et Stéphane Travert.

Adapter le calendrier

Pour les parlementaires et les professionnels agricoles, le statu quo n’est pas envisageable. Ils demandent ainsi une adaptation du calendrier, sans pour autant casser la dynamique observée. « Nous avons proposé au ministère de l’Agriculture un délai d’un an pour faire le CSP pour ceux qui ont un Certiphyto à renouveler au début de 2024, développe Philippe Noyau. Mais il faudrait justifier d’un rendez-vous pour continuer à acheter des phytos. » Chambres d’agriculture France souhaite aussi réduire à un seul CSP obligatoire pendant les cinq premières années (au lieu de deux espacés de deux ans au minimum, NDLR), le temps que tout le monde puisse suivre les formations. « Il aurait fallu commencer par les renouvellements Certiphyto de 2024. Il n’y a pas eu de tri réalisé, il y avait seulement une date, celle du 31 décembre 2023 », regrette le représentant de la FNSEA.

Pour l’instant, le ministère de l’Agriculture n’a communiqué aucune piste d’aménagement du calendrier. Il chercherait un véhicule législatif adéquat pour pouvoir desserrer l’étau. « Nous lui proposons de mettre une accroche sur le conseil et l’agroécologie dans la loi d’orientation agricole pour avoir le temps, d’ici à son examen, de réformer via un amendement le délai et le niveau du Certiphyto, ainsi que la séparation du conseil et de la vente, détaille Dominique Potier. Et de poursuivre : « Je sais que cela va faire réagir qu’on rallonge les délais mais si on baissait le niveau pour être dans les temps, le risque serait de banaliser le Certiphyto alors que ce niveau n’est déjà pas très élevé. » Dominique Potier et Stéphane Travert proposent aussi d'« augmenter le nombre de conseillers » et de « confier la mission de conseil stratégique aux chambres d’agriculture, avec le cas échéant, des partenariats formalisés avec d’autres structures de conseil ». « Si on veut piloter la transition écologique […], il faut un leadership et une compétence qui rendent des comptes. Il appartient pour moi aux chambres, à défaut d’être l’opérateur unique, d’être le coordinateur de cette politique du conseil stratégique », soutient le député de la Meurthe-et-Moselle qui dénonce la « balkanisation » du conseil.