« Depuis 1986, Cyclope sonde l’instabilité du monde et cette année, reconnaissons que nous avons été servis », a expliqué le 23 mai 2023 Philippe Chalmin, professeur à Paris-Dauphine et codirecteur du rapport annuel Cyclope, à la conférence de presse présentant l’édition de 2023. Cette année, c’est l’Apocalypse de Jean qui inspire le sous-titre « Les cavaliers de l’apocalypse » de l’édition aux 744 pages, dans lesquelles est analysé un large panel de marchés mondiaux, « de l’ananas au zirconium sans oublier l’art, la finance et le sport ! ».

Accalmie passagère

« Vous conviendrez que les quatre cavaliers que sont la guerre, la famine, la peste pour le Covid, et les bêtes sauvages pour la crise climatique, sont bien là. Avec des marchés qui, par leur instabilité, témoignent des tensions provoquées », a justifié Philippe Chalmin. Alors qu’attendre de 2023 ? « J’aurais tendance à résumer : le calme entre deux tempêtes, a-t-il repris. Le calme parce qu’à court terme, force est de constater que l’heure est à la détente sur la plupart des marchés. […] Il pourra ensuite se passer bien des choses, tant du point de vue géopolitique que, par exemple, de la croissance chinoise. »

Et de citer les exemples de l’énergie ou des marchés agricoles : « Nous avons eu de bonnes récoltes [et] sur 2023-2024, nous avons globalement de bonnes perspectives. Avec un petit bémol sur le retour du phénomène El Niño » qui pourrait influencer les récoltes de l’hémisphère Sud au début de 2024.

Suspendus à la Chine

Au déclenchement de la guerre, « de manière assez curieuse, tout le monde s’est focalisé sur le blé, avec cette fausse idée que l’Ukraine est un grenier à blé. Or le pays est avant tout un producteur de maïs, et au 25 février [2022], il avait quasi terminé sa campagne d’exportation de blé. » Le blé russe a continué de sortir, rendant l’année dernière le terme de famine « totalement excessif », a estimé Philippe Chalmin.

Une réaction peut-être un peu exagérée, « mais il faut comprendre que tout le monde a perdu ses repères », a nuancé François Luguenot, analyste de marchés de matières premières agricoles et coauteur du rapport. « En matière agricole, les gens pensent souvent à la mer Noire et en oublient la Chine. Pourtant, les prix du blé sont liés à son niveau d’importations. » L'empire du Milieu est récemment devenu, comme l’a rappelé Philippe Chalmin, le premier acheteur mondial de blé. « On ne sait pas exactement ce qu’elle va faire : maintenir ses niveaux d’achats ? encore les augmenter ? »

Une diplomatie des matières premières

Interrogé sur l’évolution de la politique agricole européenne avec notamment le green deal, Philippe Chalmin s’est avoué, à titre personnel, « un peu inquiet ». « À quoi va-t-on assister ? Au fond, à l’exportation de nos soucis environnementaux puisque nous continuerons à importer des produits agricoles, qui viendront de régions qui ne s’astreindront pas aux mêmes contraintes. »

Une stratégie qui omet de connecter l’ensemble des matières premières naturelles, pour Yves Jégourel, professeur titulaire de la chaire d’économie des matières premières du Conservatoire national des arts et métiers, codirecteur du rapport. « Nous avons besoin d’une diplomatie pour accéder à des ressources minérales qui se situent à l’étranger. Ce qui nous reste chez nous [à proposer en échange], c’est le marché intérieur et potentiellement cette puissance agricole. Ça me semble être un élément important de réflexion stratégique, sauf qu’aujourd’hui on est très clairement dans des lectures segmentées. »