Dans votre dernier livre Revoir Igloolik (1), pourquoi dénoncez-vous certaines positions européennes pour la défense de l’environnement ?

En matière environnemental, nombre de décisions sont prises sans que les coûts économiques et sociaux aient été pris en compte. Les agriculteurs français le savent bien, mais des décisions majeures en matière industrielle sont également prises sur des bases purement idéologiques. Un cas typique est l’interdiction de la production de voitures à moteurs classiques à partir de 2035. On oublie que les soi-disant voitures à « zéro émission » roulent au charbon les jours sans vent en Allemagne et que la fabrication d’une voiture électrique émet environ deux fois plus de CO2 que celle d’un véhicule classique. Pour obtenir un bilan carbone positif, les estimations du nombre de kilomètres à faire varient entre 30 000 et 300 000 km selon les calculs… On peut faire dire ce que l’on veut à ces chiffres. Le seul point clair est que le bilan carbone des véhicules légers, électriques ou classiques, est positif. Il devient négatif pour les véhicules lourds. La commission aurait donc mieux fait de pénaliser les voitures suivant leur poids. L’arrêt de la production de voitures classiques va provoquer une catastrophe pour l’emploi industriel en Europe. 

Comment sont abordées les questions écologiques en Afrique subsaharienne où vous avez œuvré pendant des années ?

Dans les pays pauvres où j’ai travaillé, les dirigeants vont d’une urgence à l’autre. Les questions environnementales sont le plus souvent perçues comme des problèmes de moyen terme, relayés au second plan. Sauf bien sûr lorsque la catastrophe est déjà majeure comme la désertification ou la montée des eaux.

Dans votre précédent livre, Africanistan, vous indiquez qu’en agriculture, les discours masquent souvent l’inaction. Que voulez-vous dire ?

Le nombre de conférences auxquelles j’ai assisté sur le thème de l’agriculture défie toute estimation. Pourtant, dans les pays où plus de la moitié de la population vit de l’agriculture, les budgets nationaux consacrés au secteur agricole dépassent rarement 6 à 8 % des dépenses budgétaires totales. La paysannerie est oubliée et n’a pas de pouvoir politique. Au Sahel, où la population double tous les 20 ans, faute d’investissements dans le secteur rural et faute d’espoir, les jeunes prennent la Kalashnikov. Cette première explication de la crise sécuritaire n’est pas la seule. La faim dans le monde n’est pas un problème agricole mais une question politique, liée à des choix budgétaires inappropriés, réalisés au mépris des paysans. En Afrique, il est frappant de voir que la carte des crises alimentaires recouvre avec précision celle des conflits. Regardez le cas de l’Ethiopie. La faim est une arme de guerre.

Comment les agriculteurs sont-ils pris à partie ?

L’insécurité fait que les paysans se réfugient dans les villes, n’osent plus aller dans leurs champs, sont rançonnés ou égorgés sur les routes. Cela dit, l’argent ne règle pas tout. Les problèmes de techniques agricoles sont compliqués dans la plupart de ces pays, et exigent des approches très fines, à l’échelle sous régionale. Mais outre la faible productivité du travail agricole, on se rend vite compte que les blocages se situent le plus souvent au niveau de l’environnement économique des paysans. Les routes sont impraticables en saison des pluies, le stockage est lamentable, les intrants ne sont pas disponibles au bon moment... Résoudre ces questions est parfois impossible sans une très forte volonté politique…

(1) Serge Michaïlof est l’auteur en particulier de Revoir Igloolik (Nuvis 2023), Africanistan (Fayard, 2015).