«Toute vérité est-elle définitive ? » Tel était l’un des sujets de philosophie soumis à la sagacité de nos bacheliers, le 18 juin 2018. Les réflexions sur le droit foncier rural auraient pu alimenter avantageusement leurs copies, tant notre rapport à la terre change. La vision absolutiste du droit de propriété, hérité de la Révolution française, fait ainsi place à une approche collective, emprunte de préoccupations écologiques. De même, les usages agricoles évoluent au gré des impératifs économiques et sociétaux.
Partant du contexte d’après-guerre, le législateur a borné ce terrain en organisant une politique de régulation autour de trois piliers : la Safer pour surveiller les transferts de propriété, le contrôle des structures pour encadrer les activités, et le statut du fermage pour arbitrer entre bailleurs et fermiers. Le cadre a fait ses preuves par le passé, mais qu’en est-il aujourd’hui ?
Coup de pied dans la fourmilière juridique
Force est de constater que la situation échappe à tout contrôle. L’artificialisation galope, preuve d’un déséquilibre grandissant entre les intérêts des villes et ceux des champs. Au sein même du monde agricole, les surfaces exploitées s’agrandissent, les installations sont de plus en plus coûteuses, les formes sociétaires explosent, avec toute l’opacité que cela entraîne en termes de mutation de propriété… Avec une pluralité d’acteurs parfois en concurrence pour faire régner l’ordre (lire page 49), le partage des sols est devenu un véritable casse-tête. Pour beaucoup, le temps d’une refonte est venu.
En annonçant une grande loi foncière dans le quinquennat (en 2019 ou 2020), l’équipe Macron a mis un coup de pied dans cette fourmilière juridique. Les colloques s’enchaînent. Celui organisé par l’Institut de droit rural de Poitiers, en mars 2018, a réuni 300 juristes, économistes et agriculteurs, réaffirmant la légitimité du contrôle du foncier autant que la nécessité de le rendre plus efficace. « Ce ne sont pas de simples ajustements dont l’espace rural a besoin, mais bel et bien d’un véritable changement de modèle », a-t-on entendu en tribune.
Approche globale
Dans cet élan, nombreux sont ceux qui plaident pour une remise à plat totale des politiques et outils en présence. Pour une approche globale des territoires, prenant aussi bien en compte les besoins des agriculteurs que les impératifs des citadins, sans oublier le défi environnemental (lire page 48). Le député Dominique Potier, co-rapporteur d’une mission d’information sur le foncier, l’a reconnu à l’occasion de l’une de ses auditions : « La question de l’architecture globale est fondamentale. Si une loi doit être adoptée, ce doit être une loi d’ampleur qui brasse tout ! » Reste à s’entendre sur les mesures à prendre. Les idées bouillonnent chez les plus libéraux comme chez les tenants d’un contrôle renforcé. L’une d’entre elles fait son chemin, reprise parmi les propositions chocs des notaires adoptées fin mai : celle d’une fusion des Safer et du contrôle des structures (lire pages 50-51). Une révolution ! D’autres se contenteraient d’une redéfinition de l’agriculteur actif…
En janvier dernier, La France agricole se penchait sur les nouveaux investisseurs qui chahutent le modèle familial, et notre rapport au foncier (FA 3731, 26 janvier 2018). Cette semaine, c’est à l’indispensable réforme des outils de contrôle que nous consacrons ce dossier d’investigation. Avec cette question en toile de fond : le gouvernement osera-t-il aller au bout d’un chantier aussi ambitieux ?