Depuis le 10 juillet 2025, la ferme de Pierre-Jean Duchene, à Cessens en Savoie, est en ébullition. Eleveurs, entrepreneurs, voisins, amis et autres citoyens s’y relaient jour et nuit pour empêcher l’abattage de ses 121 vaches montbéliardes. L’ordre de « dépeuplement » total est tombé un soir après la détection d’un animal malade dans son troupeau.
La règle est en effet d’abattre l’ensemble des bovins présents sur le même site que le sujet malade. S’il a lui-même souhaité euthanasier immédiatement l’animal atteint, Pierre-Jean Duchene refuse que l’on touche aux autres.
« Je comprends qu'on abatte un lot »
Alors que cette attitude divise la profession, le jeune éleveur s’en explique à La France agricole. « Je suis bien conscient de la gravité de la maladie, entame-t-il. Je comprends qu’on abatte tout un lot qui aurait été malheureusement exposé en pâture : j’ai eu un cas parmi mes vaches taries et ne me suis pas opposé à l’abattage du lot. »
Toutefois son cheptel laitier, rentré en bâtiment, relève selon lui d’un cas particulier. « Dès l’annonce du premier foyer le 29 juin 2025, anticipant les mesures réglementaires, j’ai rentré le troupeau laitier en bâtiment, que j’ai désinsectisé, explique-t-il. Depuis, les vaches sont confinées nuit et jour avec les ventilateurs qui tournent, des traitements contre les mouches et une ration équilibrée et enrichie en vitamine C. J’ai mis toutes les chances de mon côté, même si les vaches ont pu être exposées au vecteur avant de rentrer.»
« Les autres sont en pleine forme »
Selon lui, l’unique vache malade au sein de son troupeau laitier, confirmée et euthanasiée le 5 juillet, était affaiblie par son récent vêlage. « Les autres sont en pleine forme, même si on ne peut pas exclure qu’elles aient aussi été en contact avec le virus, reprend l’éleveur. La production laitière journalière a même augmenté de 2 litres ! Et les lots restés à l’extérieur ont tous été testés négatifs."
«J’ai toujours été transparent, je ne cache rien, poursuit Pierre-Jean Duchene. Et si dans quelques jours la moitié de mon troupeau est atteint j’accepterai le dépeuplement. Mais cela fait maintenant 17 jours que les animaux n’ont pas été en contact avec le vecteur, et dans dix jours nous atteindrons le délai maximum d’incubation. »
En début de semaine, le jeune éleveur a reçu la visite d’une vétérinaire qui a examiné les vaches. « Elle en a repéré deux avec des boutons, bien qu’elles semblent en forme. » Ce jeudi 16 juillet 2025 au soir, les résultats des prélèvements n’étaient toujours pas tombés.
Un virus non transmissible à l'homme
Une partie des soutiens de Pierre-Jean Duchêne, qui étaient montés à 200 le 14 juillet, ont essaimé vers une autre ferme, à Rumilly (Haute-Savoie). Là, André Roupioz s’oppose à l’abattage de ses quarante vaches abondances suite à la détection d’une génisse de six mois malade.
« Il est urgent d’abattre les bêtes malades mais uniquement elles, défend Philippe Calloud, porte-parole de la Confédération paysanne de Savoie, mobilisé sur place le 16 juillet avec 150 personnes. L’abattage total est une aberration car ce n’est pas une zoonose. C’est d’une violence psychologique grave pour les éleveurs."
«Et dans notre région, nous avons des races locales à faibles effectifs : il est compliqué de remonter tout un troupeau d’abondances ou de tarines. » La Confédération paysanne déplore aussi qu’un unique prélèvement condamne un troupeau entier : « alors qu’on en apprend tous les jours sur cette maladie, difficile de croire que les analyses et leurs interprétations sont fiables à 100 % ».
La Coordination rurale s’est aussi mobilisée dès le début de l’épidémie contre l’abattage total. « On ne peut plus accepter de faire partir des bêtes en pleine forme, pour une maladie qui n’affecte pas les humains, martèle Christian Convers, éleveur en Haute-Savoie et porte-parole national. Il y a ici des jeunes motivés avec des troupeaux de haute valeur génétique : si on leur enlève, ils arrêteront tout. »
Prendre de court la maladie
La FDSEA des Savoies juge ces discours dangereux. « Nous sommes tous éleveurs, nous aimons nos bêtes et tenons à notre génétique : je voudrais entendre qu’il y a d’autres solutions mais on ne peut pas faire de démagogie, assène son président Bernard Mogenet. Les vaccins sont annoncés pour bientôt, mais à nous d’être responsables en face. Avec les 350 000 doses en stock, on pourra vacciner tous les bovins de la zone réglementée actuelle, mais ce sera insuffisant si nous laissons la maladie filer. »
Le responsable professionnel rappelle également que l’immédiateté des opérations de dépeuplement, qui visent à prendre de court la maladie, ne laissent pas le temps aux animaux d’exprimer des signes cliniques. « Mais cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas atteints », souligne Bernard Mogenet.
L'espoir de la vaccination
La vaccination est aussi l’espoir auquel s’accroche le syndicat Jeunes agriculteurs (JA). « Aujourd’hui, il n’y hélas pas d’autre solution pour contenir la maladie, mais nous demandons de passer à un abattage sélectif dès que la vaccination sera en place », indique Julien Curtil, président de JA Savoie, qui regrette qu’une guerre syndicale se soit déclarée car « on a vraiment besoin d’être tous unis pour lutter contre la maladie ».
Le 16 juillet, 21 foyers correspondant à 13 élevages différents étaient confirmés. Ce même jour, un troisième éleveur tentait d’empêcher l’abattage de ses animaux sains, après que les vétérinaires accompagnés des forces de l’ordre aient euthanasié quatre vaches malades dans un lot en pâture.