"Il y a vingt ans, quand on osait parler de lait végétal, il ne restait pas 24 heures dans les rayons. Aujourd’hui, ces produits sont mis en vente, y compris par des entreprises françaises. Ce qui n’était pas accepté hier, l’est désormais, même par les paysans", indique le sénateur des Vosges, Daniel Grémillet (Les Républicains), le 8 février 2022 lors d'une table-ronde organisée au Sénat sur la viande in vitro

Pour l’ancien agriculteur et syndicaliste agricole, il est par conséquent essentiel pour la France de s’intéresser, en termes de recherche, à la "viande" de culture : "Je souhaite une expertise très poussée et indépendante du travail mené par les entreprises fabricantes, comme un élément d’aide à la décision pour nous, les politiques."

Une expertise collective

Depuis le 11 janvier 2023, la commission des affaires économiques au Sénat présidée par la Sophie Primas (LR) a lancé le débat autour de la viande in vitro, avec l’ouverture d’une mission d’information confiée aux sénateurs Olivier Rietmann (LR, Haute-Saône) et Henri Cabanel (RDSE). Une première au Parlement français qui a mené le 8 février 2023 à l’organisation d’une table-ronde avec des imitateurs de simili-carnés — Nicolas Morin Forest, président de Gourmey (faux foie gras), et Étienne Duthoit, directeur général de Vital Meat (faux poulet) —, des sénateurs, le chercheur de l’Inrae, Jean-François Hoquette, et le chef étoilé Thierry Marx.

La nécessité de lever le voile sur le processus de fabrication de la viande in vitro et sa nature ont fait la quasi-unanimité. "Nous avons besoin d’une expertise collective, et transparente, menée par des organismes indépendants qui doivent avoir accès aux résultats des entreprises", estime Jean-François Hocquette. A l’Inrae, "pour l’instant, quelques chercheurs comme moi s’intéressent à cette question, mais l’institution n’a pas été saisie d’une demande formelle du gouvernement ou des parlementaires".

Une décision européenne

"L’autorisation de mise sur le marché, dans le cadre de la procédure des nouveaux aliments, sera donnée au niveau européen et non français, souligne de son côté le sénateur Olivier Rietmann. Dans ces conditions, la question n’est pas tant de savoir si le produit doit être autorisé ou non en France. Elle est davantage de savoir si on essaie de prendre une part dans la compétition mondiale ou si nous laissons les autres arriver sur notre marché, sans que nous ne maitrisions la technologie."

Pour le chef étoilé Thierry Marx, qui prévient d’emblée qu’il ne mettra jamais de viande in vitro à sa carte, il n’y a pas de raison, toutefois, pour que la France reste à la traîne : "A un moment donné, on ne pilotera plus rien."

L’ancien juré de Top Chef plaide en faveur d’une expertise de la viande cultivée, tout en voyant d’un mauvais oeil son arrivée dans les assiettes : "Plus vous allez appauvrir les masses en termes de culture, moins elles connaîtront ce qu’elles ont à manger, et plus vous les manipulerez. C’est une perte d’identité locale et nationale pour rentrer dans une alimentation mondialisée et normalisée. C’est une boîte de Pandore qu’on a plutôt intérêt à contenir."

Un premier atelier de production en France

Le cofondateur et président de Gourmey, Nicolas Morin-Forest, annonce de son côté le développement d’un premier atelier de production de viande de culture, l’année prochaine, dans le Val-de-Marne, en Île-de-France : "Le procédé de fabrication ressemblera à une brasserie qui produit de la bière. Il faut imaginer des cuves en inox dans lesquelles seront alimentées des cellules, au même titre que des levures qui donnent de la bière."

Mêmes éléments de langage pour Etienne Duthoit, directeur général de Vital Meat, cofondé avec le groupe Grimaud près de Cholet : "Notre mode de production recourt à une grande cuve, avec un milieu nutritif et des cellules à l’intérieur. A la fin, on les sépare. C’est un procédé très proche de la production d’une levure, et une levure n’est pas un produit transformé."

Un ingrédient dans les produits transformés

Vital Meat s’inscrit comme un "producteur d’ingrédients à base de de poulet cultivé". Son représentant Etienne Duthoit indique d’ailleurs discuter avec "les systèmes coopératifs et les boites agroalimentaires présents dans nos territoires, pour réaliser des plats cuisinés en utilisant notre ingrédient".

Les deux fabricants français se sont défendus de recourir à des antibiotiques et "hormones" de croissance. "Il ne faut pas faire d’amalgames entre le bœuf sous hormone, sous stéroïde, et certains « facteurs » de croissance qui peuvent se retrouver dans certains milieux de culture", ajoute Étienne Duthoit.  

En matière culturelle, ce dernier évoque "une certaine forme de complémentarité" : "Quand je prends une salade César en 20 minutes devant mon ordinateur, le côté gastronomique et terroir est moins présent que lorsque je mange un poulet rôti le dimanche midi avec ma famille."

Les premières analyses en 2024

Sur l’aspect environnemental, Nicolas Morin-Forest s’engage à lever le voile dès l’année prochaine : "Notre premier point de production sera construit et produira. Nous nous engageons à fournir des analyses en cycle de vie qui feront la lumière sur l’impact environnemental, à tous les stades de production."

"Je serai ravi si vous pouviez communiquer non seulement les analyses de cycle de vie mais également les données brutes qui ont servi à ces analyses", réagit Jean-François Hocquette, précisant que l’absence d’antibiotiques n’était "pas si évident".

Le prochain Congrès mondial des sciences animales se tiendra à Lyon à la fin d'août 2023, précise le chercheur de l’Inrae : "Une session sera consacrée à la nourriture à base de cellules. Nous allons inviter l’ensemble des chercheurs qui travaillent sur ce thème à exposer leurs travaux."

La mission d’information du Sénat rendra, quant à elle, son rapport le 8 mars 2023.