C’est une grande mobilisation agricole qui s’annonce, jeudi 18 décembre 2025, dans les rues de la capitale européenne. Quelque 10 000 agriculteurs venus des 27 États membres de l’Union européenne sont attendus à l’appel du Copa-Cogeca, le plus important syndicat représentatif des agriculteurs et des coopératives à travers le continent — dont la FNSEA fait partie. « Du jamais-vu de mémoire d’agriculteur », confirme Franck Sander, vice-président du Copa-Cogeca et de la FNSEA, lors d’une conférence de presse organisée par la FNSEA et Jeunes agriculteurs (JA) le 16 décembre. Le timing de la manifestation n’est pas anodin : il correspond à la tenue du Conseil européen réunissant l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement.
Cette convergence européenne témoigne d’une exaspération partagée face à trois dossiers que la profession juge existentiels pour l’avenir de l’agriculture européenne : la réforme de la Pac, l’accord commercial du Mercosur, et le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). « Ces trois demandes ont été validées et cosignées par plus de 40 organisations des 27 pays, explique le service communication du Copa-Cogeca, sollicité par la France Agricole le 15 décembre. Les problèmes sont bien communs à tous les pays, même s’il peut y avoir des sensibilités différentes sur certains détails. »
Côté français, la FNSEA et JA prévoient d’acheminer quelque 4 000 manifestants, soit près de la moitié des effectifs attendus. Mais l’effort logistique concerne l’ensemble des Etats-membres. « Même les pays les plus éloignés seront présents, assure Franck Sander. Il y aura même un tracteur irlandais qui viendra jusqu’au cœur de Bruxelles en traversant la Manche. » Un convoi de tracteurs partira également des Hauts-de-France, mobilisant les départements du Nord, du Pas-de-Calais et de l’Oise.
La Pac, « sous-politique » ?
Au cœur des inquiétudes figure la proposition de la Commission sur le futur budget de la Pac. Les syndicats craignent une réduction de 20 % des crédits par rapport à la programmation actuelle, faisant chuter la part de l’agriculture qui représentait plus de la moitié budget communautaire il y a vingt ans. « Ce n’est pas acceptable, martèle Maxime Buizard-Blondeau, vice-président de JA en charge de l’économie des filières. Nous sommes dans une période de crise sanitaire, climatique, de production — avec la France qui, pour la première fois depuis plus de 40 ans va devenir importatrice nette agricole — et d’une crise de revenu. Face à cela, nous devons avoir des politiques publiques ambitieuses. »
Mais au-delà du montant, c’est la philosophie même de la réforme qui inquiète. La proposition prévoit aussi une fusion avec la politique de cohésion dans un fonds unique, qui fait dire aux syndicats que l’agriculture est réduite au rang de « sous-politique ». Elle ouvrirait aussi la possibilité d’un cofinancement des aides directes par les États membres, qui créerait des distorsions de concurrence entre les États membres qui auraient des moyens financiers et ceux qui n’en auraient pas, alerte Franck Sander. « Le C de Pac n’est plus commun, on va vers une renationalisation des aides », dénonce le responsable syndical. Par ailleurs, selon lui, l’absence d’indexation de la Pac sur l’inflation vient aggraver l’équation.
Mercosur : « Non, non et non »
Le rejet de l’accord commercial avec le Mercosur constitue la deuxième ligne rouge et transcende les clivages syndicaux. Si la mobilisation de Bruxelles est portée par le Copa-Cogeca, d’autres syndicats agricoles français appellent également à l’action. La Coordination rurale, par ses représentants du Grand Est, appelle à manifester devant le Parlement européen de Strasbourg le 17 décembre. La Confédération Paysanne participe quant à elle à un rassemblement le même jour à Liège, en Belgique, sous la bannière de l’European Coordination Via Campesina, dont elle est membre. Dans un communiqué, les petits et moyens agriculteurs européens dénoncent « un accord de libre-échange qui aggrave la concurrence déloyale, fait baisser les prix et accélère l’abandon des agriculteurs européens ».
Pour la FNSEA et JA, « le Mercosur, c’est non, tranche Quentin Le Guillous, secrétaire général de JA. Il est inconcevable de voir des produits qui ne respectent pas les normes françaises et européennes, qui utilisent des produits interdits depuis des années, venir sur le territoire. Il n’y a aucune condition, le compromis n’existe pas ». Leur argument central repose sur l’asymétrie des normes. « Nous allons importer une alimentation qui ne respecte rien du tout : du poulet javellisé à la sortie des abattoirs, des hormones utilisées, des produits sanitaires sur le maïs… Aujourd’hui, il y a 40 molécules autorisées en Amérique du Sud et interdites chez nous », énumère Hervé Lapie, secrétaire général de la FNSEA. Selon eux, l’Union européenne est une « vraie passoire » en matière de contrôles aux frontières – seul 1 % des matières premières importées seraient effectivement contrôlées. Les dispositifs d’atténuation proposés, comme les mesures miroirs ou les clauses de sauvegarde, sont balayés d’un revers de main. « Les mesures miroirs pourraient obliger l’Union européenne à indemniser le pays exportateur, et les clauses de sauvegarde ne permettraient pas de garantir un prix du fait du temps d’application trop long », arguent les organisations.
Le MACF, taxe « catastrophique » pour les engrais
Troisième pierre d’achoppement : le MACF, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2026. Conçu pour taxer les importations ne respectant pas les critères carbone de l’Union européenne, ce dispositif concernera notamment les engrais, dont 43 % de l’approvisionnement européen provient de l’importation.
« La taxe sur les engrais importés pourrait augmenter jusqu’à 140 euros la tonne à partir du 1er janvier 2026, pour atteindre presque 400 euros la tonne d’ici 2035, calcule Quentin Le Guillous. C’est presque un doublement du coût des engrais pour les agriculteurs » Une perspective jugée d’autant plus absurde que l’Union européenne ne dispose pas de capacités de production suffisantes pour assurer son autonomie, souffle-t-il. Tant que l’Union européenne et la France n’ont pas construit d’usines pour fabriquer des engrais et garantir leur souveraineté sur ces produits, « il est hors de question de taxer les engrais à l’importation », insiste le responsable, qui souhaite donc « l’exclusion pure et simple » des engrais du MACF.
Des mobilisations aussi en France
Si Bruxelles constitue l’épicentre de la mobilisation jeudi, des actions se poursuivent sur le territoire français. « Des mobilisations ont lieu depuis des semaines. Aujourd’hui encore, une nationale est bloquée dans l’Ouest parisien, des actions sont prévues en Centre-Val-de-Loire, dans les Hauts-de-France », liste Franck Sander, qui assume cette stratégie à double détente : « Nous devons être capables, en tant que syndicat agricole responsable, de gérer les problèmes très immédiats et ceux qui arriveront dans quinze jours, dans six mois ou dans deux ans. » Et si le traité du Mercosur était ratifié, les syndicats n’hésiteront pas à se mobiliser encore, menace JA.