Développer l’offre « ni trop tôt, ni trop tard ». Tel est l’équilibre qui doit être trouvé, indique Joanny Dussurgey, président du Comité national interprofessionnel de la pomme de terre (CNIPT). La filière est en effet actuellement en pleine croissance. En 2024, 179 000 ha de pommes de terre de conservation et de mi-saison ont été plantés, soit 25 000 ha de plus que l’année précédente. Et les acteurs de la filière s’attendent à une nouvelle hausse pour 2025. Au vu des perspectives de demande, « ce n’est pas quelque chose qui nous inquiète », assure Joanny Dussurgey.

Dans le secteur du frais, la demande intérieure est plutôt en baisse en volume, mais la tendance est toute autre à l’international. En 2023-2024, la France a exporté 3,5 millions de tonnes de pommes de terre, pour un total de près de 1,2 milliard d’euros : deux nouveaux records, qui s’inscrivent dans une hausse tendancielle. Elle est notamment liée aux difficultés de production de nos voisins.

La demande pour les pommes de terre transformées est également croissante depuis 2021-2022, et les perspectives sont dans le vert à moyen terme. Quatre entreprises ont prévu d’installer de nouvelles usines ou d’en faire monter en puissance dans les prochaines années : Ecofrost à Péronne (Somme), Clarebout à Dunkerque (Nord), Agristo à Escaudœuvres (Nord), et Champart à Fère-Champenoise (Marne). Les trois premières devraient permettre, selon le Groupement interprofessionnel pour la valorisation de la pomme de terre (GIPT) interrogé par l’AFP, de quasiment doubler d’ici cinq ans la production française de pommes de terre transformées (1,6 million de tonnes en 2023-2024).

« Ne pas s’emballer »

En parallèle, les prix ont progressé ces dernières années, a rappelé Philippe Bureau, président du cabinet Idari, lors de l’assemblée générale de l’Union nationale des producteurs de pommes de terre (UNPT) le 4 février. Il relaye des données du Groupement d’agriculteurs producteurs de pommes de terre pour l’industrie (Gappi) : pour la Fontane par exemple, le prix moyen annuel stade producteur était de 107 €/t en moyenne sur la période 2004-2014, et de 163 €/t en 2015-2022. La tendance est également là sur les prix moyens des contrats : 98 €/t en 2004-2014 et 126 €/t en 2015-2022, pour la Fontane toujours. Environ 90 % des achats des usines en France se font sous contrat ces dernières années. Et globalement, la répartition de la valeur dans la filière « permet à tout le monde de gagner sa vie », estime Joanny Dussurgey.

La demande et les prix sont certes à la hausse, mais « il ne faut pas s’emballer », considère Alain Dequeker, secrétaire général de l’UNPT. Le syndicat appelle depuis plusieurs mois les agriculteurs à la prudence : les annonces d’ouverture d’usine sont certes « prometteuses », mais elles ne sont « pas encore toutes opérationnelles ou même construites », insiste le syndicat.

Le message est le même du côté du NEPG (1), qui représente les producteurs de pommes de terre de France, Allemagne, Belgique, et Pays-Bas. L’organisation pointe la prise de risque qu’une hausse des emblavements représente, au regard du renchérissement des coûts de production et dans un contexte mondial « incertain ». Elle se réfère à la politique de Donald Trump, à « l’expansion des exportations de frites chinoises et indiennes », ou encore au « durcissement des décisions environnementales » européennes.

+ 1 % de production, -5,3 % sur les prix

Ainsi, « il faut accompagner le marché mais ne surtout pas le devancer, sinon la sanction du prix sera immédiate », note Alain Dequeker. En moyenne entre 2000 et 2017, « 1 % de production en plus en France, c’est -5,3 % sur les prix », indique Philippe Bureau.

La question de l’équilibre entre les différents débouchés doit aussi être prise en compte, pour que le développement de l’un ne se fasse pas au détriment d’un autre. En 2024, il avait manqué 100 000 tonnes de plants certifiés de pomme de terre. La situation est plus équilibrée en 2025, mais la disponibilité devra suivre à moyen terme. Dans une dynamique globalement positive, « ce sont de bons problèmes », déclare Joanny Dussurgey.

Révisions de contrats

Trouver cet équilibre en filière n’a rien d’évident. Pour preuve, l’UNPT dénonce dans un communiqué diffusé le 5 mars « une pression commerciale intenable ». Elle pointe du doigt deux éléments qui « plongent les producteurs dans une incertitude totale ». D’une part, la « chute brutale des prix sur le marché libre de l’industrie » (- 40 % en un mois du prix de référence de la Fontane). Elle estime que le signal n’est pas un « simple ajustement conjoncturel » mais « est voulu ».

Et d’autre part, la « révision unilatérale des volumes imposée par un opérateur belge majeur ». Dans un message posté sur X, Patrick Legras, responsable de la section pommes de terre de la Coordination rurale, précise qu’il s’agit de Clarebout. Ainsi, selon l’UNPT, la société belge « impose une réduction unilatérale de 10 à 20 % des engagements de tonnage initiaux, tout en feignant une ouverture pour ajuster les surfaces aux volumes de plants ». Patrick Legras, évoque, lui, des baisses de 10 à 30 %. L’UNPT en appelle à l’État et aux collectivités territoriales « à instaurer un cadre de concertation structuré entre producteurs et industriels ».

(1) North-West European Potato Growers Group