Si les premiers rendements en orges ou en colza sont décevants en Europe, le bassin de la mer Noire surprend par des premières coupes de blé meilleures que prévu. Dans le même temps, la tension commence à s’installer sur le complexe des oléagineux avec de premières incertitudes sur la production américaine de soja.
Le blé russe fait pression sur les prix européens
Le marché du blé a oscillé cette semaine, pour finalement s’échanger au même prix que la semaine passée à Rouen, soit à 223,5 €/t. Les cours ont toutefois rebondi à 228 €/t avant de se replier. Il faut dire que la Russie continue d’être l’élément directeur du marché. Après avoir réduit de près de 10 millions de tonnes (Mt) leurs estimations de production, les analystes locaux revoient à la hausse leur copie, autour des 80-82 Mt.
Les premiers rendements de la région de Krasnodar, moissonnée à plus de 50 %, ressortent au-dessus des attentes. Les zones les plus touchées comme Rostov ne sont pas encore assez avancées dans leur récolte pour estimer un rendement moyen. Ces disponibilités qui finalement réapparaissent sur le marché, tirent les prix russes vers le bas. Le blé Fob Novorossiysk vaut 220 $/t, soit 15 $/t de moins que le blé français.
Ce regain de compétitivité du blé russe tire les prix européens vers le bas. La Tunisie a ainsi profité de ces prix bas pour revenir aux achats, et a publié cette semaine un appel d’offres de 100 000 tonnes de blé tendre pour des livraisons entre la fin de juillet et d'août.
En France, les conditions des blés se dégradent encore à l’aube de la moisson. 58 % des blés jugés en bon à excellent état, selon FranceAgriMer, soit 2 points de moins que la semaine passée. Arvalis a d’ailleurs estimé les rendements de blé français à 64 q/ha contre 74 q/ha en 2023 et 72 q/ha en moyenne sur dix ans.
Baisse du disponible exportable d’orge dans l’hémisphère Nord
L’offre mondiale d’orge se réduit chez les grands exportateurs. Dans l’hémisphère Nord pour commencer, les surfaces canadiennes sont attendues sur leur niveau le plus bas depuis 2017. Dans son rapport trimestriel, StatCan (agence canadienne) estime à 2,57 millions d’hectares la surface d’orge semée en 2024 contre 2,89 millions d’hectares dans sa publication du mois de mars. Si les conditions de cultures sont pour le moment idéales pour les producteurs, la production canadienne pourrait en raison de ce premier paramètre ne pas dépasser les 9 millions de tonnes. En Ukraine, la situation est relativement similaire.
Enfin, en Europe, la moisson débute et les premiers retours du terrain sont décevants sur l’ouest du continent. Selon Cereobs, 33 % de la surface a été récoltée en France contre 64 % en 2023 et 41 % en moyenne ces cinq dernières années, à la même date. Fort de ce retard, il est encore difficile d’évaluer précisément la perte de volume mais les retours du terrain sont unanimes, le résultat est nettement sous les attentes initiales des producteurs. Ainsi, le disponible d’orge exportable des principaux pays exportateurs de l’hémisphère Nord est attendu sur son niveau le plus bas depuis 2018-2019, à moins de 12 millions de tonnes.
Le retour de la Chine aux achats pour l’origine française permet à la prime fourragère à Rouen de revenir sur son niveau de –30 €/t contre –50 €/t au plus bas au milieu du mois de juin. L’orge rendu Rouen reste cependant soumise à la pression baissière du complexe céréalier l’empêchant pour le moment de dépasser le seuil psychologique des 200 €/t. L’orge de brasserie profite certes d’une nette hausse des surfaces semées en Europe au cours du printemps. Cependant, le constat est le même en France en ce qui concerne les rendements et les qualités généralement décevantes.
Début de récolte de colza décevant en Europe
La hausse du colza se poursuit cette semaine, gagnant plus de 30 €/t depuis vendredi dernier. La graine de colza retrouve ainsi les 500 €/t à Montoir, des niveaux de prix qui n’avaient pas été vus depuis un an. En effet, le complexe des oléagineux retrouve du soutien à la suite des estimations de surfaces de soja aux États-Unis qui sont ressorties en baisse à la fin de la semaine dernière. Les agriculteurs américains ont finalement préféré le maïs, abaissant l’assolement de soja de –400 000 acres, à 86,1 millions d’acres.
Dans le même temps, les fondamentaux du colza restent tendus, avec des potentiels de production toujours incertains dans l’hémisphère Nord. Les premières coupes en France et en Europe ne rassurent pas. Les premières estimations de rendements sont pour le moment en dessous des moyennes, ce qui ne sera sans doute pas suffisant pour mener la récolte européenne au niveau des 20,9 Mt de l’an passé.
Si pour l’heure le rationnement n’est pas encore d’actualité, les besoins en importations devraient être supérieurs à ceux de l’an passé pour faire tourner les usines de trituration en Europe. Les regards se tournent ainsi vers l’Ukraine, le Canada ou l’Australie. Du côté de la mer Noire, les travaux dans les champs débutent en Ukraine et il faudra suivre leur avancée afin de confirmer une production au-dessus des 4 Mt alors qu’une nouvelle vague de chaleur touche le pays.
Tension sur les sojas américains
Cette semaine, le regain de fermeté est venu de la publication du rapport trimestriel de l’USDA (ministère américain de l’Agriculture). L’office américain a publié les stocks de soja et de maïs au 1er juin mais surtout les estimations de surfaces en 2024. Face à l’augmentation de l’estimation de la sole de maïs, les surfaces de soja ont été revues à la baisse à 86,1 millions d’acres (Ma), contre 86,5 Ma estimées au mois de mars. Si ce chiffre est toujours bien supérieur à celui de l’an passé (83,6 Ma), ce rapport a envoyé un léger signal haussier au marché.
Dans le même temps, les conditions climatiques resteront sous surveillance tout au long de l’été dans la zone de production américaine. Pour le moment, 67 % des surfaces sont notées en bonnes ou excellentes conditions, contre 50 % l’an passé à cette date. Les potentiels de production s’annoncent donc confortables mais il sera également intéressant de suivre le dynamisme de la demande, à l’heure où l’activité de trituration reste sur des niveaux importants aux États-Unis.
En Amérique latine, les récoltes sont terminées en Argentine et sans surprise, la production est estimée à 50,5 millions de tonnes selon la Bourse de Buenos Aires, en ligne avec le chiffre de l’USDA (50 Mt). La production est plus incertaine du côté du Brésil, avec un écart toujours élevé entre le chiffre de l’USDA et celui de la Conab (Compagnie nationale d’approvisionnement du Brésil), respectivement à 153 Mt et 147,3 Mt. La publication des rapports mensuels des deux organismes la semaine prochaine permettra d’ajuster chacune de ces estimations. Quoi qu’il en soit, les disponibilités restent confortables à court terme et le principal facteur de volatilité de l’été restera les potentiels de production aux États-Unis.
Du côté de l’Europe, la parité euro/dollar rebondit à 1,08 dans l’attente des résultats des élections législatives de la fin de la semaine en France. Rappelons que la hausse de la parité euro/dollar est bénéfique pour les importateurs européens. Les tourteaux de soja se sont ainsi repliés cette semaine, revenant autour de 435 €/t en spot délivré Montoir, soit une baisse de 14 €/t en l’espace d’une semaine.
À suivre : avancée des récoltes américaines, européenne et en région mer Noire en colza, blé, orges ; dégradation des rendements de colza en Europe ; évolution de la parité euro/dollar ; rapport de l'USDA et de la Conab la semaine prochaine ; conditions des cultures canadiennes et américaines ; retour des pluies en France, nouvelle pression maladie pour les blés.
(1) Argus Media, société spécialisée dans le suivi des marchés des matières premières, nous livre son analyse agricole hebdomadaire.