« En 2019, seulement un agriculteur sur les huit de notre groupe est arrivé à faire lever son colza. Aujourd’hui, nous y arrivons tous », indique Étienne Trumeau, céréalier sur 180 ha à Lunery, dans le Cher. Après l’année catastrophique de 2016, et quelques années sans levée de colza, un groupe d’une vingtaine de céréaliers (dont huit exploitations sont suivies par la FDGeda du Cher et Terres Inovia) ont créé le groupe 30 000 « Recolzadur », pour colza durable ou, plutôt « colza robuste ». L’objectif est d’adapter l’itinéraire technique afin d’obtenir un colza qui puisse faire face aux ravageurs, en diminuant les insecticides.
« Aujourd’hui, l’efficacité de ces produits varie entre 0 et 60 %. Il est nécessaire de mettre la plante en bonne condition pour qu’elle résiste seule », précise Baptiste Crochet, conseiller à la FDGeda 18 et animateur du groupe. Différents itinéraires sont possibles en agriculture biologique. En conventionnel, Étienne Trumeau tente l’expérience dans ses sols peu profonds, en majorité en argilo-calcaires très superficiels (environ 60 mm de RU) depuis cinq ans. Il s’agit de faire face aux altises qui touchent le colza plutôt à la fin de septembre, aux charançons du bourgeon terminal (CBT), qui pondent dans les pétioles de colza à l’automne, aux larves de grosses altises qui le colonisent au début de l’hiver, puis aux charançons de la tige au début du printemps.
Date de semis avancée
Pour maîtriser l’implantation du colza, il faut remonter à l’année précédente, lors de l’implantation de l’orge. Étienne Trumeau, qui ne laboure plus depuis quinze ans, passe un outil de travail du sol en profondeur, sans bouleverser les horizons. « J’anticipe le travail du sol pour le colza. Les dents espacées de 35 cm interviennent à environ 20 cm. Je ne le passe qu’une fois tous les cinq ans. » Le céréalier est attentif à la récolte de la culture qui précède le colza et évite, tant que possible, les périodes humides qui déstructurent le sol. Sans travailler le sol, il avance la date de semis du colza au début d'août, à la place du 15-20 août. « Je gère le risque d’élongations par le choix de variétés adaptées », note l’agriculteur. Il sème en direct, sous les résidus de paille avec un semoir à dents, un Contour Master de chez Eco-mulch.
Étienne sème un mélange d’une dizaine de variétés, où les semences hybrides sont majoritaires, pour répondre à l’hétérogénéité de ses terres. La densité va jouer sur la grosseur de la tige du colza. Étienne sème à 60 pieds/m², mais vise 30 de levés, car il a des pertes liées au semis direct. « Cette année, nous sommes à 30 pieds/m², voire 15 et même 0 sur 2 % de la surface », précise l’agriculteur, qui a eu des difficultés à gérer un autre ravageur : la limace.

Après une bonne implantation, la croissance du colza doit être régulière et continue tout au long du cycle. Étienne apporte 30 unités de phosphore dans la ligne de semis et 10 unités d’azote en plein avant le 30 août, date butoir imposée par la réglementation. Puis il estime la biomasse à l’entrée et en sortie d’hiver avec un drone, « plus réactif que le satellite » selon lui, et ajuste la dose d’azote. En 2023, après un blé dur, il a apporté 90 unités au colza. Cette année, après une orge, ce sera 150 unités. En plus de cette fertilisation de synthèse, Étienne sème du fenugrec sur le rang (10 kg/ha). « Dans les sols argilo-calcaires, le phosphore est bloqué. Les légumineuses peuvent permettre d’améliorer la biodisponibilité de cet élément via leurs rhizosphères. Sans oublier que la plante perturbe également les insectes, explique Baptiste, le conseiller. L’association de plantes, c’est la cerise sur le gâteau ! »
Quant au désherbage, Étienne applique systématiquement un antigraminée racinaire pour gérer les vulpins et ray-grass. Les dicotylédones sont gérées avec une demi-dose de Mozzar. Il a également allongé sa rotation avec la production de semence en trèfle incarnat.
Une croissance continue
Grâce à cet itinéraire technique, les colzas se développent rapidement et de manière continue pour résister aux ravageurs. Depuis trois ans, l’agriculteur a supprimé les insecticides d’automne. Il s’autorise un insecticide (lambda-cyhalothrine) en février contre le charançon de la tige, selon les besoins. « Il ne s’agit pas de donner des recettes mais de savoir s’adapter en fonction des observations du sol, de la plante et de la météo pour intervenir à bon escient. Moins d’insecticides, au-delà de l’économie de charge, c’est le respect des auxiliaires et de la biodiversité », souligne Étienne.
En 2023, les colzas ont souffert d’un coup de chaud pendant le remplissage. Le rendement a atteint 26 q/ha, dans la moyenne de l’exploitation. Grâce à la maîtrise de cet itinéraire, le céréalier sécurise son système. Les échanges au sein du groupe lui ont permis de faire évoluer ses pratiques, sans bouleversement.