Après la sidération, des solutions émergent. Le 26 septembre 2024, Lactalis avait annoncé un plan de réduction de sa collecte française de 450 millions de litres. 272 producteurs seront écartés dès 2026, pour un volume de 155 millions de litres. Sont concernées trois organisations de producteurs (OP), une dans le Grand Est (151 adhérents produisant 76 millions de litres) et deux dans le sud des Pays de la Loire (121 adhérents livrant 79 millions de litres). À l’horizon de 2030, les 238 producteurs d’Unicoolait, coopérative de Moselle dont Lactalis est le seul client, seront également remerciés, avec leurs 160 millions de litres de lait livrés.
Yohann Serreau, président de l’Unell (Union nationale des éleveurs livreurs Lactalis) se veut néanmoins rassurant pour les éleveurs touchés dès 2026. « Même si l’annonce a été brutale, nous avons le temps de réagir sereinement. Les ruptures de contrats seront envoyées par Lactalis en janvier 2025. Les éleveurs auront un an de préavis à partir de là. » L’association d’OP s’est entourée du cabinet de conseil « Groupe Triangle » pour procéder méthodiquement. Ce cabinet a contacté de manière exhaustive plus de vingt laiteries sur les zones concernées dans les Pays de la Loire et le Grand Est. Résultat, « les usines ont quasiment toutes des besoins d’approvisionnement », se réjouit Yohann Serreau.
Plus difficile dans l’Est
Dans l’Ouest, « il y a le potentiel de collecter tous les producteurs, avec plusieurs laiteries intéressées ». Dans l’Est, la situation est plus délicate. « Les besoins sont là, mais la diversité de transformateurs est importante. Il y a aussi davantage de contraintes pour la collecte, comme la topographie vallonnée » , constate l’éleveur. La prochaine étape pour l’Unell et le cabinet : s’assurer que les attentes des laiteries et des éleveurs concordent. « Nous devons vérifier au cas par cas que cela fonctionne sur l’aspect géographique et en termes de cahier des charges ». Le but est d’identifier des solutions pour tous les éleveurs d’ici à la fin de l’année 2024 « y compris ceux qui n’adhèrent pas à l’Unell », puis concrétiser ce travail par des contrats entre producteurs et clients.
Plusieurs laiteries situées dans l’ouest de la France ont déjà officiellement tendu la main aux livreurs de Lactalis en quête d’un nouveau collecteur. C’est le cas de la laiterie de Saint-Denis-de-l’Hôtel (LSDH), connue pour ses laits équitables et ses contrats tripartites avec les éleveurs et la grande distribution. Historiquement basé dans le Loiret, le groupe a ouvert une deuxième usine à Cholet, dans le Maine-et-Loire en 2023, augmentant ses capacités de transformation. « Nous sommes dans une phase de développement de nos ventes, compatible avec l’accueil de 50 exploitations supplémentaires, expose Philippe Leseure, directeur des filières du pôle liquide chez LSDH. Nous pourrions donc collecter 35 millions de litres supplémentaires aux alentours de notre site de Cholet. »
Reprise de volumes « raisonnée »
La laiterie veut reprendre des exploitations « de manière raisonnée » pour éviter les excédents laitiers. Le tout, afin d’assurer « la continuité des niveaux de rémunération actuels des producteurs », affirme Philippe Leseure. LSDH figure parmi les laiteries payant le mieux ses producteurs, selon l’observatoire du prix du lait de L’Éleveur Laitier. La laiterie fait ainsi un pari sur l’avenir, en partie fondé sur l’essor de la marque C’est qui le patron ?! qu’elle conditionne. Cette brique de lait connaît un franc succès, avec une augmentation de ses ventes de 12,5 % depuis le début de 2024.
La laiterie présente des exigences envers ses livreurs, notamment l’alimentation sans OGM. « Munis de ces informations, c’est aux éleveurs de choisir s’ils souhaitent nous rejoindre », expose Philippe Leseure. De fait, « rien ne se fera avant la fin de l’année, car les éleveurs attentent toujours le contrat de rupture de Lactalis ». LSDH fixe le cap de novembre 2025 pour intégrer de nouveaux éleveurs.
Une deuxième main a été tendue, celle de la marque de lait équitable FaireFrance, conditionnée chez LSDH. Elle avait indiqué vouloir intégrer 30 à 50 millions de litres supplémentaires le 16 octobre, annonce que LSDH avait jugé « surestimée ». Depuis, le président de FaireFrance, Jean-Luc Pruvot admet que la marque est pour l’instant dans le flou. « Beaucoup de possibilités s’offrent à nous et s’orientent vers une augmentation des volumes de FaireFrance. Mais nous ne savons pas encore quantifier ni cranter dans le temps ces projets, nous avons besoin de temps. »
Ailleurs dans l’Ouest français, les regards se sont tournés vers la coopérative Terrena et sa Laiterie du Val d’Ancenis, filiale de Laïta. « Nous sommes en capacité de collecter 40 millions de litres supplémentaires dans un rayon de 100 km autour de l’usine », avait annoncé la coopérative le 18 octobre. Elle avait déjà fait part de son besoin de trouver 40 millions de litres supplémentaires à ses coopérateurs il y a deux ans, et décide d’ouvrir la porte aux livreurs de Lactalis. « Nous voulons augmenter notre production, nous avons des marchés porteurs et des marques qui fonctionnent (Madame Loïc, Paysan breton) », explique Christophe Miault, président de la commission du lait de Terrena.
Parmi les 450 millions de litres qui ne seront plus collectés par Lactalis, l’incertitude plane toujours sur 135 millions de litres, sur lesquels l’industriel ne s’est pas avancé. Qui sera concerné et à quelle échéance ? Yohann Serreau fait des suppositions. « Lactalis prend peut-être en compte la réduction de collecte structurelle qui s’opérera dans les prochaines années. Et il n’est pas impossible qu’en 2030 ils reverront leur copie et en auront besoin ! »