L’histoire

Claude, propriétaire d’une parcelle agricole sur l’île de La Réunion avait proposé à Louise de l’acquérir pour le prix de 130 000 € en vue d’agrandir son exploitation. Le notaire avait notifié le projet d’acquisition à la Safer.

Ayant estimé le prix trop élevé, la Safer avait décidé de préempter cette parcelle et offert un prix de 106 000 €. Claude avait alors retiré son bien de la vente, puis l'avait cédé de gré à gré au prix de 145 000 € à la Safer, qui l'avait rétrocédé à un jeune exploitant.

Le contentieux

N’acceptant pas d’avoir ainsi été évincée, Louise avait assigné la Safer et Claude en annulation de la décision de préemption et de la vente, ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts. Certes, Louise n’ignorait pas que la Safer peut exercer son droit de préemption pour lutter contre la spéculation foncière et, en cas de prix considéré comme exagéré, faire une contre-proposition que le vendeur est libre d’accepter. Mais Louise avait reproché à la Safer d’avoir opéré une manœuvre avec le vendeur de nature à l’empêcher d’acquérir la parcelle.

En effet, en décidant de préempter la parcelle au motif que le prix était exagéré avec offre de révision du prix, puis, alors que le vendeur avait déclaré retirer la parcelle de la vente, en acquérant finalement cette parcelle à un prix supérieur à celui convenu, la Safer n’avait-elle pas commis un détournement de pouvoir dans l’exercice de son droit de préemption ? Aussi la vente devait-elle être annulée comme entachée de fraude, selon l’exploitante.

"Elle reprochait à la Safer d’avoir opéré une manœuvre frauduleuse avec le vendeur."

Le tribunal judiciaire avait suivi son argumentation. En rachetant la parcelle de Claude à un prix supérieur, la Safer avait fait preuve d’un abus dans l’exercice du droit de préemption et d’un détournement de procédure.

Devant la cour d’appel, saisie par la Safer, le débat avait été placé sur un autre fondement. La décision de retirer la parcelle de la vente par Claude avait privé d’effet l’exercice du droit de préemption de Louise, qui ne pouvait plus être invoqué à l’encontre de la vente amiable ultérieure. Aussi Louise ne pouvait-elle se prévaloir de la qualité d’acquéreur évincé et solliciter l’annulation d’une décision de préemption devenue sans objet.

Quant à la vente de gré à gré intervenue entre la Safer et Claude, la Cour d’appel avait relevé qu’aucun élément évoqué par Louise ne permettait de démontrer qu’elle avait été faite en fraude de ses droits. En effet, aucune disposition légale n’interdisait à Claude, postérieurement au retrait de sa parcelle de la vente à la suite d’une contre-proposition de la Safer, de conclure une vente amiable avec celle-ci. La Safer n’avait donc pas commis de détournement de pouvoir ni d’abus dans l’exercice de son droit de préemption, de sorte que le jugement devait être infirmé. La Cour de cassation a approuvé la solution.

L’épilogue

La Safer ayant rétrocédé la parcelle à un autre agriculteur, Louise n’aura que ses yeux pour pleurer sur une parcelle qui lui aura échappé. Pour autant, la solution retenue illustre une pratique contestable de la Safer que l’on espère être isolée.