L’histoire

Gilles avait donné à bail à long terme à Rosalie un ensemble de biens à vocation agricole, constitué de quatre étables, d’une grange, d’un hangar et des parcelles de terre. À l’expiration du bail, Gilles et Rosalie avaient convenu de le reconduire pour neuf ans et d’en retirer les bâtiments. Constatant alors que ces derniers, dont il avait repris possession, étaient dégradés, Gilles avait saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en vue d’obtenir le paiement par Rosalie d’une indemnité au titre de la remise en état.

Le contentieux

Gilles avait fondé sa demande sur l’article L. 411-72 du code rural qui prévoit que s’il apparaît une dégradation du bien loué, le bailleur a droit, à l’expiration du bail, à une indemnité égale au montant du préjudice. Gilles avait produit plusieurs constats établissant que les étables et le hangar avaient subi d’importantes dégradations, qui n’étaient pas liées à leur vétusté mais à un manque patent d’entretien de la part de Rosalie. Aussi, sa demande était-elle fondée et la somme réclamée justifiée.

Mais Rosalie avait conclu à l’irrecevabilité, en l’état, de la demande de Gilles. En effet, l’article L. 411-50 dispose qu’à défaut de congé, le bail est renouvelé pour une durée de neuf ans et que « sauf conventions contraires, les clauses et conditions du nouveau bail sont celles du bail précédent ». Aussi, le bail s’étant renouvelé, Gilles ne pouvait réclamer une quelconque indemnité, avant la fin du bail renouvelé, de sorte que sa demande était irrecevable en l’état.

"Ils avaient convenu de reconduire le bail et d’en retirer les bâtiments"

Le tribunal paritaire avait déclaré la demande recevable mais mal fondée, la preuve des dégradations n’étant pas suffisamment établie. Mais devant la Cour d’appel deux thèses s’étaient affrontées.

Selon Gilles, le bailleur, l’indemnité résultant de la dégradation du bien loué avait vocation à être mise en œuvre au regard des biens que les parties avaient d’un commun accord exclu de l’assiette du bail renouvelé. En revanche, selon Rosalie, la preneuse, les atteintes au fond loué ne pouvaient être indemnisées qu’à la fin de la relation contractuelle.

La cour d’appel avait infirmé le jugement et déclaré la demande indemnitaire irrecevable. En effet, le retrait des bâtiments du bail ne constituait pas une modification suffisamment substantielle pour considérer que celui-ci avait pris fin. Aussi, puisque le bail initial était toujours en cours, la question de la dépréciation des bâtiments ne pourrait être examinée qu’à l’expiration du bail renouvelé.

Saisie par Gilles, la Cour de cassation a tranché en sa faveur. Elle a considéré que la cour d’appel ne pouvait déclarer irrecevable sa demande, « tout en constatant que la mise à disposition des bâtiments avait pris fin, les parties, d'un commun accord, les ayant expressément retirés de l'assiette du bail au moment du renouvellement de celui-ci ».

L’épilogue

Devant la cour de renvoi, Gilles pourra faire valoir que le bail renouvelé est un nouveau bail, autonome par rapport au bail initial. Aussi, en cas de modification de ce bail renouvelé par soustraction de certains biens de son assiette, le bailleur est en droit de réclamer une indemnité au titre de la dégradation des biens dont il a retrouvé la jouissance, et pour lesquels le bail initial a pris fin.