L’histoire

Propriétaire de deux parcelles en banlieue de Rennes, Louis en avait pris à bail une troisième qu’il avait mise à disposition du Gaec du Chêne vert constitué avec son fils. La société d’aménagement d’Ille et Vilaine l’avait exproprié de ces parcelles en vue de l’aménagement d’une rocade. Elle avait alloué une indemnité au titre des deux parcelles dont Louis était propriétaire, mais elle avait refusé toute indemnisation pour la parcelle louée.

Le contentieux

En cas d’expropriation pour cause d’utilité publique d’un fonds loué, le preneur a droit à une indemnité d’éviction dont le montant est fixé, à défaut d’accord amiable, par le juge de l’expropriation. La question évoquée par ce contentieux était de savoir si Louis pouvait bénéficier d’une indemnité d’éviction au titre de la parcelle louée, mise à la disposition du Gaec.

Il est vrai que sa mise en valeur était effectuée par l’intermédiaire du groupement et non directement par Louis. Mais ce dernier avait rappelé devant le juge de l’expropriation qu’en sa qualité d’associé du Gaec, il participait effectivement au travail en commun. Et il avait ajouté que conformément à l’article L. 323-14 du code rural, il restait seul titulaire du bail. Aussi, l’expropriation de la parcelle louée lui avait causé un préjudice direct, résulté de la privation de jouissance puisque l’ordonnance d’expropriation avait définitivement mis fin au bail. Dès lors, peu importait que la parcelle en cause eût été mise à disposition du groupement. Une indemnité d’éviction devait lui être versée, dans les conditions de l’article L. 321-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, qui stipule que les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation.

La société d’aménagement avait défendu sa thèse. Le relevé MSA précisant que la parcelle incriminée était exploitée par le Gaec, Louis ne pouvait revendiquer une indemnité d’éviction.

Le juge de l’expropriation, soucieux, semble-t-il, de ménager les deniers publics avait rejeté la demande de Louis et la Cour d’appel avait confirmé le jugement. Puisque la parcelle avait été mise à la disposition du Gaec, c’était bien celui-ci qui l’exploitait. Aussi, la demande de Louis devait-elle être écartée.

 "Le relevé de la MSA précisait que la parcelle incriminée était exploitée par le Gaec"

Une telle solution ne méconnaissait-elle pas l’économie et le cadre juridique de la mise à disposition ? La Cour de cassation l’a affirmé en cassant la décision d’appel. Elle a rappelé le principe posé par une jurisprudence du 7 juillet 1981, selon lequel lorsque le locataire d'un terrain exproprié l'a mis à disposition d'un groupement agricole d'exploitation en commun, il a seul qualité, comme unique titulaire du droit locatif, pour solliciter l'attribution des indemnités réparant la perte de ses droits. Aussi, en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé l’article L. 323-14 du code rural et l’article L. 321-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

L’épilogue

Devant la cour de renvoi, Louis pourra faire valoir que l’expropriation, qui a mis fin au bail, lui a bien causé un préjudice direct et certain. Toute autre aurait été la solution si Louis avait, avec l’agrément personnel de son bailleur, fait apport de son droit au bail au Gaec, dans les conditions de l’article L. 411-38 du code rural. Devenu preneur, exproprié, le Gaec aurait pu alors revendiquer une indemnité d’éviction pour privation de jouissance.

Arrêt de la Cour de cassation du 10 novembre 2021, n° de pourvoi : 20-18.880 • ECLI:FR:CCASS:2021:C300774 • Non publié au bulletin