L’histoire
Paul exploitait un ensemble de parcelles qu’Anne avait mis à sa disposition sans contrat. Après plusieurs années, Anne avait vendu les parcelles à Maxime. Paul, qui avait tardé à exercer son droit de préemption, avait alors revendiqué l’existence, à son profit, d’un bail rural, qui lui avait été reconnu à la suite d’une procédure. Après la vente, Paul avait continué à payer les fermages à Anne puis, à son décès, il les avait consignés sur un compte ouvert par son avocat, au prétexte qu’il ignorait l’identité du nouveau propriétaire.
Le contentieux
Maxime avait alors adressé des mises en demeure à Paul puis saisi le tribunal paritaire en résiliation du bail. Il est vrai que selon l’article L. 411-31 du code rural, le bailleur peut obtenir la résiliation du bail s’il justifie de deux défauts de paiement de fermages après mise en demeure. Tout au plus ce motif ne peut-il être invoqué en cas de force majeure ou de raisons sérieuses et légitimes. Les mises en demeure adressées à Paul étant régulières et restées infructueuses, la résiliation du bail était bien encourue.
" En prétendant ignorer l’identité du nouveau propriétaire, le preneur n’avait-il pas été l’artisan de la perte de son bail ?"
Pour sa défense, Paul avait invoqué une raison légitime, tirée de l’article L. 412-9 du code rural. Ce texte précise que toute vente d’un fonds agricole doit être notifiée dans les dix jours au bénéficiaire du droit de préemption. Et une telle information est nécessaire pour permettre au preneur de s’acquitter valablement du paiement du fermage entre les mains du nouveau propriétaire. Or Paul n’avait reçu aucune notification de la vente des parcelles par Anne au profit de Maxime, de sorte qu’il ignorait l’identité du nouveau propriétaire. Aussi était-il en droit, selon lui, de continuer à payer les fermages à Anne et à son décès de les consigner sur le compte Carpa (Compte dédié au maniement de fonds réalisés par un avocat pour le compte de son client) de son avocat.
Les juges s’étaient montrés sévères pour Paul. D’une part, ils avaient avancé que le défaut d’accomplissement de la notification de la vente au preneur n’est assorti d’aucune sanction. D’autre part, les versements effectués sur le compte Carpa de son avocat étaient en l’absence d’autorisation judiciaire dépourvus de valeur libératoire, c’est-à-dire qu’ils ne libéraient pas Paul de son obligation de payer les fermages. Aussi, Paul, qui était censé connaître l’identité du propriétaire des parcelles grâce à son action en reconnaissance de son droit de préemption qui avait échoué, ne justifiait ni d’un cas de force majeure ni de raisons sérieuses et légitimes permettant de justifier les défauts de paiement de fermage. Pour les juges, la résiliation du bail s’imposait. Saisie par Paul, la Cour de cassation n’a pu que s’incliner devant la motivation souveraine des juges du fond.
L’épilogue
Paul n’avait-il pas été imprudent en consignant, de son propre chef, les fermages sur le compte Carpa de son avocat ? La consignation ne vaut paiement et est libératoire, que si elle a été validée par un jugement passé en force de chose jugée. En prétendant ignorer l’identité du nouveau propriétaire, Paul n’avait-il pas été l’artisan de la perte de son bail ? On est droit de le penser.