L’ HISTOIRE. Un décret du 29 juillet 1939, codifié au code rural (1), permet au descendant qui a collaboré gratuitement à l’exploitation de ses parents de bénéficier, à leur décès, d’une créance de salaire différé. Jean avait exercé une activité d’aide familiale sur l’exploitation familiale, d’abord avec son père puis, à son décès en 1952, avec sa mère qui en avait poursuivi la mise en valeur.

Au décès de cette dernière, en 1998, il avait fallu régler les successions confondues des parents : devant le notaire, Jean avait fait valoir son contrat de travail à salaire différé, en demandant la liquidation de la créance sur la base des dispositions favorables en vigueur au décès de sa mère. Mais ses frères s’étaient opposés à cette prétention, qui allait absorber la totalité de la succession.

 

LE CONTENTIEUX. Jean avait donc saisi le juge d’instance afin de se voir reconnaître bénéficiaire d’une créance de salaire différé complète. Le débat juridique n’était pas simple : en effet, la loi du 4 juillet 1980 applicable aux successions ouvertes à compter de sa publication, permettait de calculer le montant de la créance sur la base du taux annuel du salaire minimum interprofessionnel de croissance ; en revanche, les dispositions antérieures, applicables aux successions ouvertes avant cette publication, étaient beaucoup moins favorables, qui calculaient la créance de salaire différé sur la base du salaire de l’ouvrier et de la servante de ferme logés et nourris, résultant d’un barème départemental fixé chaque année.

Il s’agissait donc de savoir à quel moment la créance de Jean était née : soit au jour de l’ouverture de la succession de leur père, en 1952, ce que soutenaient les frères de Jean ; son montant devait alors être calculé sur la base des dispositions en vigueur à cette date, moins favorables. Soit, au contraire au jour du décès de leur mère, en 1998, avec application des dispositions favorables.

Selon une jurisprudence récente (2), lorsque la collaboration du descendant à l’exploitation, inférieure à dix ans au décès du père, s’était poursuivie avec sa mère, la créance de salaire différé n’était pas née en son entier à l’ouverture de la première succession. Aussi, pour en calculer le montant, il fallait appliquer les dispositions en vigueur lors de l’ouverture de la seconde.

Dans notre affaire, les juges, sans entrer dans ce délicat débat relatif à la naissance de la créance, avaient fait droit à la demande de Jean en précisant que le taux annuel du salaire serait calculé sur la base des règles favorables résultant de la loi du 4 juillet 1980. Saisie par les frères de Jean, qui craignaient pour l’actif de la succession de leurs parents, la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence : dès lors qu’après le décès du père, la collaboration s’était poursuivie avec la mère, la créance de salaire différé n’était pas née en son entier à l’ouverture de la première succession. Aussi, son montant devait être calculé selon les dispositions plus favorables, en vigueur lors de l’ouverture de la succession de la mère.

 

L’ÉPILOGUE. Rigoureuse pour les frères de Jean, la solution n’est pas incongrue : il paraît normal de solliciter le paiement de la créance de salaire différé seulement lorsque s’ouvrent, après le décès du dernier des parents, les opérations de partage entre les enfants.

(1) Articles L 321-13 et suivants. (2) Cour de cassation, 29 juin 2011.