Sur le marché du carbone, « il y a eu une dynamique importante en 2024 en Europe », constate Thibaut Savoye, fondateur de Carbone Farmers et président de la Climate Agriculture Alliance. « Les institutions européennes prennent la mesure de ce que l’agriculture peut apporter comme solution au changement climatique, estime-t-il. Cela s’est traduit par différentes réglementations, dont le Carbon removals and carbon farming certification (CRCF), définitivement adoptée en novembre 2024. »
Par ailleurs, dans sa vision pour l’agriculture pour les années à venir, dévoilée le 19 février, la Commission européenne a délivré des « ambitions fortes en termes de financement à la transition agricole », ajoute Thibaut Savoye. Selon ce dernier, « ces orientations vont se traduire dans la nouvelle mouture de la Pac, à partir de 2027 », avec des financements « fléchés sur des enjeux autour du carbone, du climat, de l’eau. »
Éviter scandales et greenwashing
« La directive CRCF va permettre de clarifier le cadre européen », explique François Thierart, cofondateur de MyEasyFarm. « Par le passé, il y a eu un certain nombre de scandales sur des crédits carbone », ajoute-t-il. Aussi, pour lui, « il est important, pour générer des crédits, d’avoir des outils fiables, et qui sortent des indicateurs vérifiables. »
Dans ce sens, les données numériques, qu’il oppose aux données déclaratives, sont « infalsifiables » et facilitent la récupération des informations. « Plus les données sont fiables, plus on aura de crédibilité sur les crédits carbone, quelle que soit la méthodologie utilisée. »
« Le greenwashing a été un sujet dans le paysage du carbone, confirme Chuck De Liedekerke, cofondateur et directeur général de Soil Capital. Le carbone agricole n’a pas encore fait l’objet de scandale mais ce n’est qu’à condition de s’améliorer continuellement qu’on va être capable de se préserver. »
Pour lui, cela est d’autant plus important qu’un vent nouveau souffle. « Le monde est passé d’un thème autour de la « sustainibility » [durabilité, NDLR], où on vote le Green deal et où on est à fond ensemble derrière des projets, à une ambiance beaucoup plus sécuritaire, où deux grands exportateurs mondiaux, les États-Unis et la Russie, ne sont plus nécessairement les copains de l’Union européenne », explique-t-il.
La tendance actuelle est à la simplification environnementale et, donnant l’exemple d’Elon Musk aux États-Unis, « à l’élimination des projets et des règles pas nécessaires ». « Nous devons être capables de prouver que tout est robuste, facile et pratique » dans la démarche carbone, insiste Chuck De Liedekerke.
Un registre européen pour éviter la double comptabilisation
« L’un des grands sujets de scandale [autour du carbone, NDLR], c’est la question de la comptabilisation. Comment être sûr qu’un agriculteur n’est pas inscrit dans deux programmes différents ? Qu’un certificat carbone n’est pas vendu à deux personnes différentes ? », interroge Chuck De Liedekerke.
La Climate Agriculture Alliance s’est emparée du sujet en créant le registre « FarmVault ». Elle devance ainsi la législation européenne, les États membres parlant également d’en mettre un en place. « On est la seule initiative qui regroupe autant d’acteurs dans cette démarche d’intégrité », insiste Chuck De Liedekerke. Pour la Climate Agriculture Alliance, les agriculteurs qui ne sont pas inscrits dans ce type de registre, ainsi que leurs filières, « sont à risques ».
Un baromètre européen du « Carbone Farming »
L’initiative va prochainement publier un baromètre européen du « Carbon Farming ». Ce dernier montre « une vraie dynamique en termes de surface » intégrée dans le registre Farm Vault. « On a réussi, en quatre ou cinq ans, à assurer la transparence d’une production agricole de la parcelle jusqu’au silo et à l’usine de transformation, se félicite Thibaut Savoye. Ce n’était pas concevable pour les grands négociants qui ne pensaient pas qu’on pouvait isoler une production avec des qualités agroécologiques, de durabilité ou bas carbone, dans un silo. Aujourd’hui, c’est ce que chacun des acteurs arrive à faire. Il faut que les filières s’en saisissent, et que les consommateurs le demandent encore plus fortement. »