La race bovine wagyu élevée au Japon connaît un franc succès sous l’appellation locale « bœuf de Kobé ». Elle se démarque par sa tendreté, et surtout, son persillé intramusculaire inégalable. Musique classique, massages, ration à la bière et tout le folklore nippon autour de ce bœuf… Rien de tout ça n’est mis en pratique sur la ferme de Xavier Lallemant, à la tête d’un troupeau de 110 wagyus à Crézilles (Meurthe-et-Moselle), et pourtant, ses clients raffolent de cette viande rare. Désormais, tous les mois, c’est carton plein pour vendre la carcasse de bœuf. Mais il y a douze ans, il fallait oser sauter le pas.

« En 2013, j’ai fait le pari de me lancer dans ce type d’élevage, se rappelle Xavier Lallemant. J’ai commencé doucement, par l’achat de 10 embryons wagyus dans une exploitation de l’Aisne, à poser sur nos génisses prim’holsteins. » L’éleveur avait rejoint ses parents sur le Gaec familial en 2006, et produisait 500 000 litres de lait. Pourtant, ce n’était pas sa vocation. « Je cherchais à investir dans autre chose, car je savais qu’un jour ou l’autre, j’arrêterais de produire du lait. »

Mais cette aventure n’était pas mince affaire. Pour 10 embryons, comptez 10 000 euros et 20 femelles à préparer pour synchroniser les poses. 8 veaux sont nés, 6 mâles et 2 femelles. « Je les ai nourris au seau pendant 6 mois, se souvient l’éleveur. J’ai fait des poses d’embryons sur les laitières jusqu’en 2017. » Xavier Lallemant a pu collecter les embryons directement sur ses wagyus dès 2015, divisant les coûts par deux. De 1 000 € par embryon, les frais passent à 450 €, sans compter les paillettes (lire l’encadré).

Composer sa propre ration

Pour agrandir le troupeau, toutes les femelles ont été gardées pour le renouvellement. « C’est un processus long, confie l’éleveur. Lorsque j’ai inséminé directement sur les wagyus, j’ai visé un âge au premier vêlage de 24 mois pour essayer d’augmenter le cheptel un peu plus vite. » Depuis, les génisses wagyus vêlent à 34 ou 36 mois.

« Il faut bien préparer les mères à la reproduction, en veillant à ne pas trop donner à manger. » Car si la race est connue pour ses propriétés gustatives, le revers de la médaille est difficile à gérer. « Elles déposent du gras très rapidement, notamment de couverture, qui peut empêcher la reproduction. » Après avoir testé l’alimentation à l’enrubanné, l’éleveur a misé sur le foin, complémenté d’un kilo d’aliment « deuxième âge pour veaux laitiers » pour les génisses.

La recette de la ration des vaches, mais également des bœufs, Xavier a dû l’établir lui-même. Bien qu’une vingtaine d’éleveurs de wagyus soient présents en France, la composition de l’auge de leurs vaches reste secrète. « J’ai dû établir une ration à l’aide d’une nutritionniste animale. On y va à tâtons, et s’il y a des ratés, on n’en voit les conséquences que quelques années plus tard. »

« Ralentir leur croissance »

L’éleveur mise alors sur un engraissement lent et progressif. Si les animaux prennent en gras de couverture trop rapidement, le persillé n’a pas le temps de s’installer, et les animaux sont déjà trop gros. « L’âge à l’abattage des bœufs est passé de trois ans à quatre ans, pour bien laisser le gras intramusculaire s’installer », explique l’éleveur. En hiver, les bœufs sont nourris de paille et de 3 kg d’aliment. « La paille n’apporte rien à part de l’encombrement, ce qui permet de ralentir leur croissance. »

Pendant la période de finition, un an et demi avant l’abattage, les bovins ont droit à du foin et de 3 à 10 kg d’aliment de finition, en deux repas par jour. L’ingrédient clé : la graine de lin extrudée, riche en oméga 3 et 6. Résultat, les bœufs wagyu sont abattus à 450 kg de carcasse en moyenne, pour un rendement de 220 kg de viande. « J’amène moi-même le bœuf à l’abattoir. Il passe tôt le matin, avant tous les autres animaux, pour être déchargé dans le calme », explique l’éleveur. Tout stress annulerait la tendreté de la viande, et pourrait gâcher quatre années de travail.

La viande de wagyu se démarque par son persillé intramusculaire. (©  Lorraine Wagyu)

C’est à cette étape que Xavier Lallemant change de casquette, troquant celle d’un éleveur pour celle d’un commercial. « C’est environ une semaine de travail consacrée à la livraison des commandes, et à la relation clients ». Chaque mois, environ huit clients fidèles font leur commande — principalement des restaurateurs. « Mon boucher a mis en place un plan de découpe, pour guider les clients dans leurs premiers achats. » La valeur des pièces varie selon leur facilité à être cuisinées. En moyenne, la viande de wagyu est vendue à 20 € par kilo, contre 7 € au maximum pour une très bonne race allaitante française.

Xavier Lallemant aspire désormais à produire deux bœufs wagyus par mois, avec cette année, 35 naissances prévues. En juillet 2025, il a pu mettre un terme à la production laitière, afin de réaménager le bâtiment pour l’engraissement de ses petites bêtes noires.