En une phrase sur France 3 le 7 janvier 2024, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a enfoncé le dernier clou sur le cercueil d’une promesse du candidat Macron de 2022, le chèque alimentaire. Cette mesure, qui consiste à distribuer de l’argent à un public cible pour acheter des aliments, était soutenue en 2022 par la FNSEA et par l’interprofession des fruits et légumes, Interfel. Encore dans un sondage du cabinet Bona fidé pour Interfel, paru en mars 2024, 63 % de Français soutiennent l’idée d’un chèque fruits et légumes pour les plus modestes.
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Un fonds de soutien à l’aide alimentaire est venu le remplacer. Mais ses 60 millions d’euros n’ont plus rien à voir avec les 1,5 à 3 milliards du départ, au regard des 16 % des personnes qui ne mangent pas à leur faim, selon une étude du Crédoc de novembre 2022. L’ambition a disparu mais la dynamique politique a donné lieu à des expérimentations sur lesquelles certains s’appuient pour faire revivre le dossier, éventuellement sous d’autres formes.
Première question, le chèque alimentaire est-il en mesure de soutenir la production agricole ? À Montreuil (Seine-Saint-Denis), l’association Action contre la Faim en partenariat avec l’Armée du Salut, a testé l’efficacité de transfert monétaire pour l’alimentation.
Parmi deux cents ménages ayant reçu une aide mensuelle de 63 euros par personne, une partie n’était pas restreinte dans ses achats, suivis grâce à une carte Nickel. En clair, ils pouvaient s’en servir pour acheter des écrans plats. Mais ce n’est pas du tout ce qu’ils ont fait.
Même sans restriction, 55 % des achats se sont faits dans des enseignes alimentaires, le reste étant surtout des dépenses du quotidien. « Les gens s’orientent vers leurs besoins fondamentaux », conclut Hélène Queau, directrice de ce projet chez Action contre la Faim.
Achats locaux
Si les bénéficiaires achètent des aliments, achètent-ils pour autant des produits locaux ? Une expérience est menée dans ce sens dans la métropole de Dijon (Côte-d’Or). « L’originalité de notre projet vient du fait qu’on entre dans la relation entre agriculture et alimentation par la demande », souligne Philippe Lemanceau, vice-président de la métropole de Dijon et ancien chercheur de l’Inrae.
Ici, un mécanisme de coupons alimentaires s’articule avec un réseau d’épiceries partenaires et une épicerie solidaire. Mais les règles des achats publics bloquent la réservation des approvisionnements uniquement en local. « Nous cherchons à coconstruire avec les producteurs et les citoyens un label pour certifier l’origine locale », avance Philippe Lemanceau.
« Mon souci était que l’agriculteur soit payé au prix juste, même hors marché », Françoise Dessertine, Banque alimentaire de l’Isère
Déjà pour l’aide alimentaire, qui s’adresse à un public proche de celui d’un chèque alimentaire, des achats de produits agricoles sur pied sont programmés grâce au fonds « Mieux manger pour tous », créé en novembre 2022, ou son équivalent européen FSE +. Il autorise à nouer des alliances locales entre les agriculteurs et les associations caritatives.
Françoise Dessertine, présidente de la Banque alimentaire de l’Isère, s’en est servie : « Il nous manquait 200 tonnes de fruits et légumes en 2022 pour équilibrer nos rations, selon les recommandations du plan nutrition santé. Nous avons rencontré la chambre d’agriculture, les Cuma et nos partenaires agricoles. Mon souci était que l’agriculteur soit payé au prix juste, même hors marché. Aujourd’hui, nous achetons dix tonnes chaque semaine pour les 11 000 bénéficiaires de notre secteur. »
Logistique
Mais pour autant, distribuer de l’argent suffit-il à assurer des achats de produits agricoles locaux ? Loin de là : « Ce qui est central, c’est la logistique », témoigne Laurence Champier, directrice fédérale des Banques alimentaires, une des associations caritatives majeures en France. Pour l’aide alimentaire, un logisticien est mobilisé depuis 2022 pour rassembler, stocker et redistribuer des denrées agricoles, achetées grâce à un financement européen, à raison de 5 000 palettes par mois.
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À l’échelle locale, c’est la même question. À Dijon, elle prend la forme d’une légumerie au sud de l’agglomération. Elle lave, épluche, découpe, calibre et emballe des fruits et légumes fraîchement sortis du champ. Elle a traité 70 tonnes de légumes en 2023, année de sa mise en service, à destination de la cuisine centrale de la ville. L’équipement est financé avec de l’argent public, même si des partenaires privés ou coopératifs se sont associés au projet territorial global.
« La solution est collective », Laurent Grandin, président d’Interfel
Du côté du bénéficiaire, c’est l’éducation nutritionnelle qui est la condition nécessaire à l’efficacité du chèque alimentaire. La panoplie de la pédagogie se déploie pour apprendre à cuisiner des légumes et pour optimiser les coûts domestiques : les fiches de recettes, les ateliers de cuisine, la tenue des épiceries solidaires…
L’Inrae a développé au cours des années 2010 un programme de promotion de la santé grâce à l’alimentation des personnes en précarité. Il se traduit essentiellement par des ateliers collectifs autour des tickets de courses. D’abord testé autour du littoral méditerranéen, ce programme est devenu une marque, Opticourses, en cours de développement au niveau national.
Charlie Broccard, de l’Institut du développement durable (Iddri), un centre de réflexion partenaire de Sciences Po Paris, propose de faire du chèque alimentaire un outil de la « durabilité environnementale » de la chaîne alimentaire. Le département de la Seine-Saint-Denis tente d’appliquer cette idée dans quatre communes proches de Paris. C’est déjà sur ce terrain que s’était déroulée l’expérience des transferts monétaires non ciblés.
Cette fois, toujours avec Action contre la Faim, un panel de 1 350 personnes cibles (étudiants, précaires, foyers monoparentaux) reçoit une carte de tickets-restaurants de 50 euros destinée aux achats alimentaires et une bonification de 25 euros pour des achats alimentaires durables (bio, local…). Cette combinaison permet d’orienter les achats sans pénaliser ceux qui n’ont pas accès à ces magasins dans leurs quartiers. « On espère que la méthode lèvera aussi les freins sociétaux qui font que les bénéficiaires ne rentrent pas dans ces épiceries », explique Hélène Queau, d’Action contre la Faim.
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Enjeu européen
Si jamais le chèque alimentaire devait renaître, certains pensent déjà à sa nouvelle forme. L’interprofession des fruits et légumes, Interfel, aimerait maintenant porter le sujet dans la campagne électorale européenne.
« La solution actuelle par les associations caritatives ne suffira pas parce qu’elle n’ira pas chercher toutes les populations. Avec 321 grammes de fruits et légumes consommés chaque jour, la France est nettement en dessous des recommandations minimales de l’Organisation mondiale de la santé (400 g par jour et par personne) mais toute l’Europe est dans le même cas. La solution est donc collective », estime Laurent Grandin, le président d’Interfel. Il imagine un système européen équivalent aux food stamps américains, une allocation mensuelle de 127 dollars (117 euros) par personne allouée à 41 millions de citoyens sous condition de ressources.