La France agricole : Comment le plastique se retrouve-t-il dans les sols agricoles ?
Marie France Dignac : Beaucoup de fibres de plastique et de microplastiques légers sont présents dans l’atmosphère. Lorsqu’il pleut, ils vont pouvoir être redéposés sur les sols. Une étude de l’Ademe (1), de l’année dernière, a montré qu’il y en avait dans 75 % des sols, notamment en forêt et dans les pairies.
Mais les sols agricoles sont particulièrement concernés car il y a aussi d’autres sources de contamination. L’épandage, par exemple. Les amendements organiques issus des déchets urbains, les composts de biodéchets, peuvent être pollués par des plastiques et surtout le compost d’ordures ménagères non triées, le TMB. C’est un compost qui va disparaître puisqu’il a été interdit en 2027 mais il a été et est toujours utilisé sur de nombreux sols agricoles en France.
En Europe, 40 % des boues de stations d’épuration sont épandues sur les sols comme fertilisants. Or, les microplastiques sont fortement présents dans les eaux usées. Ils sont notamment issus du lavage des textiles ou des particules de pneus. Lors du traitement des eaux usées, ces microplastiques sont très bien éliminés de l’eau, à plus de 90 %, mais ils ne disparaissent pas. Ils se concentrent dans les boues activées. Quand on épand ces boues sur les sols, on remet les microplastiques sur les sols.
Le plastique utilisé dans l’agriculture peut-il également contaminer les sols ?
Marie-France Dignac : Les bâches, le paillage plastique, les serres émettent beaucoup de microplastiques lors de leur utilisation. Ce qui fragmente le plus les plastiques, ce sont les rayonnements UV. Or, les bâches et les serres sont fortement soumis à ces rayonnements. Ça va fractionner le plastique et lors de pluie, les microplastiques vont être transportés dans les sols.
Pour l’élevage, le plastique utilisé pour conserver l'aliment des animaux, lors de l’ensilage et de l’enrubannage, peut aussi se déchiqueter. C’est d’autant plus embêtant que les animaux vont directement l’ingérer avec la nourriture.
Muriel Mercier-Bonin : Et il y a des utilisations intentionnelles de microplastiques, comme dans quelques fertilisants. Certains sont enrobés dans des capsules de polymères pour retarder la diffusion des fertilisants. C’est fait pour une libération contrôlée de ces produits. Les capsules de polymères vont se fragmenter et relâcher leur principe actif doucement dans le sol mais cette capsule va rester dans le sol.
Collecte record de plastiques agricoles en 2024 (31/01/2025)
En quelle quantité retrouve-t-on ces microplastiques dans les sols agricoles ?
Marie-France Dignac : En France, nous avons un site expérimental dans les Yvelines (Île-de-France). On y a traité des parcelles avec différents amendements organiques : des composts de biodéchets, des composts de déchets verts et boues et des composts d’ordures ménagères résiduelles. On a effectué des prélèvements sur ces sols tous les ans pendant vingt ans. Dans les parcelles qui ont été traitées avec des composts d’ordures ménagères, on a quantifié jusqu’à 400 kg par hectare, dans la couche de labour, de microplastiques de taille comprise entre deux et cinq millimètres. Ce sont des quantités très importantes. En vingt ans, on a apporté l’équivalent de 80 000 sacs plastiques ou 1 800 bouteilles d’eau.
Comment les microplastiques impactent-ils la faune des sols ?
Marie-France Dignac : Certaines études ont été menées sur les vers de terre. Elles ont montré que des expositions chroniques aux microplastiques allaient entraîner une diminution de leur croissance et de leur reproduction. Il y a aussi un impact physique : ces particules vont perturber le système digestif. Elles vont entraîner des mécanismes d’inflammation ou de fausse satiété, par exemple. Si un ver de terre ingère des particules de plastique qui ne sont pas nourrissantes, ça va diminuer son alimentation.
Muriel Mercier-Bonin : Il y a un autre impact que l’on appelle la plastisphère. Elle désigne les communautés microbiennes qui se forment autour des microplastiques. Ça peut moduler des équilibres à l’échelle des micro-organismes qui vivent dans le sol. La communauté microbienne qui se crée autour du plastique peut être différente de celle qui se développe normalement dans les sols. On peut alors voir apparaître certaines espèces microbiennes pathogènes qui vont interférer sur la santé du sol.
Quelles sont les conséquences également de la présence de microplastiques dans la nourriture des animaux d’élevage ?
Muriel Mercier-Bonin : Les études de la littérature sur les ruminants et les volailles montrent qu’il y a des atteintes sur leur physiologie intestinale. De la même façon, on retrouve des perturbations de la croissance des animaux. Ces conséquences sur la santé des animaux vont s’accompagner d’une perte de productivité, d’une qualité de la viande qui est moindre…
Marie-France Dignac : Ici à Genève, aux négociations du traité international de lutte contre le plastique, on parle beaucoup avec les pays africains francophones. Ils nous rapportent qu’ils observent déjà une diminution de la production de viande, de sa qualité et une contamination par les microplastiques de la viande produite.
Peut-on quantifier l’impact des microplastiques sur les rendements des cultures ?
Marie-France Dignac : Pour le moment, il existe très peu de littérature sur le sujet. Une publication chinoise avait démontré que les microplastiques auraient les mêmes effets que le dérèglement climatique sur les rendements. Au niveau mondial, la perte liée aux microplastiques sur les rendements de blé, de maïs et de riz serait d’environ 10 % par an. Mais ces chiffres sont à prendre avec précaution et doivent être confrontés à de nouvelles études.
Quelles sont alors les solutions pour lutter contre la présence de microplastiques dans les sols ?
Muriel Mercier-Bonin : Il faut bien comprendre qu'il n’est pas possible de dépolluer un sol contaminé par les microplastiques.
Marie-France Dignac : Ils ne sont pas à la surface, on les retrouve jusqu’à un mètre de profondeur. On les retrouve dans la fraction fine des sols, celle qui est stabilisée, qui est protégée par les agrégats organo-minéraux. On n’y a donc pas accès. Par conséquent, tout ce qu’on met aujourd’hui comme plastique dans le sol menace sa qualité pour les générations futures.
Mondialement, 2 % de la production de plastique est utilisée dans le secteur agricole et ce chiffre ne cesse de croître car il y a de plus en plus d’applications. Ces plastiques sont présentés comme un moyen, à court terme, d’avoir de meilleurs rendements. Mais à long terme, ils dégradent les sols, donc il vaut mieux réfléchir à un changement de système en optant pour des pratiques plus respectueuses comme les pratiques d’agroécologie.
(1) Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.