Comment se positionne la fondation Earthworm ?
Notre mission est de régénérer les sols et les forêts. Pour cela, nous travaillons avec tous les acteurs de la chaîne de valeur, agriculteurs, coopératives, négoces, entreprises, grande distribution, dans un rôle de catalyseur. Pour nous, production et écologie vont de pair. La nature est généreuse quand elle est mise dans des conditions où elle peut donner le maximum de son potentiel. On a besoin de restaurer nos écosystèmes pour qu’ils continuent à produire demain.
Les types d’agricultures sont parfois comme des religions, où chacun prêche pour sa paroisse. Pourtant, qu’elles soient de conservation, biologique, ou raisonnée, elles ont toutes un sol. C’est le capital de l’agriculteur, et le grand oublié de ces quarante dernières années. Nous utilisons le sol pour nous réunir autour des pratiques régénératrices. Nous ne soutenons pas la création d’un label, qui a tendance à imposer des pratiques. Les pratiques régénératrices consistent à s’adapter à la nature, elles dépendent d’un contexte. Il s’agit donc de donner aux agriculteurs des objectifs de résultats, et de leur laisser le libre choix sur leurs pratiques. C’est important pour nous de ne pas figer ce concept d’agriculture régénératrice.
Qu’est-ce que le programme Sols Vivants, lancé en 2018 ?
C’est notre initiative en France et en Europe. Le sol est un système vivant, et maintenir cette vie, c’est se garantir qu’on va travailler avec l’aide de la nature. Notre organisation n’a pas d’idéologie, mais des grands principes, et un objectif de résultats. Pour cela, nous avions besoin de mesurer la santé des sols. Personne ne l’avait vraiment fait auparavant, à part les chercheurs, donc nous avons monté un comité scientifique, composé d’experts et d’agriculteurs, pour nous aider à la caractériser.
Le comité a permis de déterminer des indicateurs de mesures utiles aux agriculteurs comme aux entreprises. Taux de matière organique sur argile, couverture des sols, pH, structure, carbone séquestré dans le sol… Tous ces éléments permettent de suivre la progression d’un agriculteur, dans n’importe quelle ferme. L’accompagnement est notre deuxième pilier, et l’incitation économique le troisième. Nous avons amené des marques à financer cette transformation. Très vite, des entreprises comme Nestlé, Lidl ou McCain se sont engagées en rémunérant davantage les agriculteurs qui travaillent sur ce programme.
Nous avons commencé par travailler avec un groupe de douze agriculteurs, sur la pomme de terre, dans la chaîne de valeur de Mousline. Depuis 2018, nous avons engagé 500 agriculteurs, et effectué 800 mesures de sols en impliquant l’ensemble de la rotation. Notre objectif désormais est d’aller à plus grande échelle. Nous visons 10 000 agriculteurs en 2025, en s’appuyant sur les coopératives et négoces pour qu’eux-mêmes réalisent l’accompagnement. Nous avons ainsi contribué à la construction du projet Transitions avec la coopérative Vivescia, qui vient d’être lancé en septembre 2023 et va accompagner mille agriculteurs durant les trois prochaines années.
Comment réagissent les agriculteurs avec qui vous travaillez ?
Les agriculteurs que nous avons rencontrés se sont montrés extrêmement intéressés. En fait, il y a un vrai appétit vis-à-vis de l’écologie, mais qui est caché par une colère chez les agriculteurs. Parce que l’écologie se manifeste souvent par des normes et des contraintes qui leur tombent dessus, et il y a une forme de révolte, et de désespoir aussi, face à l’incompréhension parfois du grand public. Nous ne venons pas avec une approche contraignante ou dogmatique, ce qui permet d’ouvrir une discussion sur les pratiques, les défis, sur ce qui va ou pas, comme on discute avec un médecin d’une analyse de sang, sans jugement.
Une dynamique positive se met alors en route, soutenue par les coopératives et négoces qui ont envie de s’engager, et avec l’appui des entreprises de l’aval. Ces dernières ont une vraie feuille de route sur le climat, et voient la question des sols et de l’agriculture comme un investissement pour le futur. Elles avaient oublié l’importance de la production d’ingrédients agricoles et l’agriculteur, dernier maillon de la chaîne de valeur, est finalement remis au centre du système, ce qui est une excellente chose.