Comment voyez-vous le lien entre l’agriculture à la société ?
Le constat que je dresse est que l’agriculture peut faire plus que de fournir de la nourriture. Elle fait déjà les paysages. Demain, avec moins de pesticides et d’engrais minéraux, elle pourrait faire la qualité de l’eau qui percole dans les sols, qui sont en grande partie agricoles. Elle pourrait faire la santé humaine par la qualité des aliments qu’elle fournirait. Enfin, l’agriculture fait aussi le climat. Ce sont en grande partie les gaz à effet de serre issus des sols qui réchauffent la terre et l’ont rendue vivable. Aujourd’hui, le labour favorise la libération de CO2 des sols mais en labourant moins et avec un maximum d’engrais organiques, on peut stocker du carbone dans les sols et limiter le changement climatique. Oui, les sols agricoles sont la clé d’une réconciliation de la société avec son agriculture, si les modalités d’exploitation évoluent.
À quel prix l’agriculture peut-elle assurer ces services ?
Le message que j’envoie aux citoyens est que c’est à eux d’être financièrement incitatifs pour les agriculteurs, par exemple pour utiliser plus de matière organique et moins de pesticides. Vouloir le service écologique sans le rémunérer est anormal. Les citoyens sont pourtant habitués à payer pour l’agriculture et ses effets : politiques de santé et traitement de l’eau face aux pesticides, politique agricole commune… Demain, les dépenses en faveur de l’agroécologie peuvent réduire d’autres postes de dépenses. J’en veux un peu à la société de ne pas aider suffisamment son agriculture à évoluer. Les agriculteurs doivent aussi faire évoluer leurs pratiques (type d’engrais, pesticides, fréquence du labour)… Cette piste n’est pas une lubie d’activiste : aujourd’hui des transitions ont déjà été conduites avec succès par certains agriculteurs, en agriculture bio ou en agriculture de conservation.
Quelles sont les difficultés techniques pour y arriver ?
La transition vers le bio ou la conservation des sols n’est pas simple. Les agriculteurs que je rencontre qui s’engagent en ce sens sont de véritables explorateurs de l’inconnu, mais non sans succès. La difficulté vient aussi de variétés végétales inadaptées. Par exemple, les variétés modernes de céréales ont perdu la capacité à émettre dans le sol des molécules aux propriétés désherbantes. Ces variétés ont été sélectionnées pour valoriser les apports d’engrais minéraux, qui sont pénalisants pour les symbioses des plantes avec les champignons du sol. Or une plante mycorhizée (en symbiose avec un champignon N.D.L.R.) est non seulement nourrie en eau et en nutriments par le champignon, mais elle est aussi protégée contre les pathogènes. Au cours de l’évolution, les champignons mycorhiziens ont en effet acquis la capacité à protéger leurs précieux partenaires : sans eux, la dépendance des plantes aux pesticides augmente.
Quels sont les espoirs de l’agroécologie ?
Depuis cinquante ans, les sciences du vivant ont produit des brassées de connaissances qui ne demandent qu’à être appliquées en agriculture. Un voile s’est déchiré sur les sols depuis les années 95, avec les travaux sur l’ADN des organismes souterrains. Ces connaissances sont une boîte à outils aux potentialités considérables. À court terme, il est vrai que l’agroécologie peut perdre en rendement : sans variétés végétales appropriées, on lui demande de danser le lac des cygnes avec des bottes. Cependant, de nouvelles variétés et des itinéraires techniques en cours de développement effaceront largement ces pertes. C’est une certitude quand on voit déjà les premiers résultats de l’agroécologie.
(1) Une histoire naturelle des sols à l'intention de ceux qui le piétinent- Actes Sud (2021)