Pourquoi est-il nécessaire d’introduire l’innovation dans les appellations ?
En premier lieu, le changement climatique impose ses conditions. La sécheresse de 2022 a contraint à des modifications provisoires de plusieurs cahiers des charges. Celles-ci ne peuvent être que temporaires. Les attentes sociétales nous amènent également à prendre en compte le bien-être animal, l’écoconception autant que les conditions de travail. Dans ce contexte, les appellations ne peuvent pas être figées, mais nous devons rester fidèles aux produits. Les appellations s’ancrent dans le lien d’un produit avec son terroir et le maintien d’un savoir-faire traditionnel. Ces deux piliers garantissent une émotion sensorielle chez le consommateur, mais laissent a priori peu de place pour l’innovation.
Les évolutions doivent-elles être encouragées ?
J’y suis favorable dans certains domaines et compte tenu de l’urgence du changement climatique. Les processus habituels de modification des cahiers des charges prennent de trois à cinq ans, d’où l’importance d’anticiper. Le Cnaol (2) a lancé un projet transversal à six filières, du camembert de Normandie à la tomme de Savoie en passant par le valençay. Il vise à appréhender le changement climatique sur ces différents terroirs et à réfléchir collectivement aux adaptations possibles.
Nos travaux concernent tant les autorisations de nouveaux fourrages que des pratiques de transformations plus économes en eau et en énergie. Ils sont menés au niveau interprofessionnel et impliquent les chambres d’agriculture et l’Institut de l’élevage. Plus largement, la feuille de route de l’actuelle mandature de l’Inao prévoit que les attentes sociétales et les adaptations au changement climatique devront être incluses dans les demandes de modifications de cahier des charges.
Face à l’inflation, la révision des formats de fromage est-elle aussi en jeu ?
Le prix par unité de consommation est important. Quand un camembert passe les trois euros puis les quatre euros, les ventes sont impactées. Nous observons des tendances à la baisse depuis un an sur le marché des fromages d’appellation. Le format des fromages est donc une piste motivée également par la réduction de la taille des foyers et les consommations de type snacking. Nous devons néanmoins prouver un historique. Pour le demi-camembert de 150 grammes, je détiens par exemple une étiquette des années vingt héritée de la laiterie de mes grands-parents.
Quel est le seuil à ne pas franchir ?
Les qualités organoleptiques de nos produits doivent être préservées. Nous devons aussi maintenir la cohésion des différents maillons de nos filières sans vouloir brusquer. Je prendrai l’exemple du moulage à la louche robotisé des camemberts. Faisant l’objet de débats dans les années quatre-vingt-dix, il est parfois devenu indispensable pour des raisons de conditions de travail et d’attractivité des métiers. Je pense que les opérateurs sont porteurs de propositions. Nous devons rester dans une démarche d’amélioration continue qui préserve la cohésion.
(1) Institut national de l’origine et de la qualité. (2) Comité national des appellations d’origine laitières.