« On peut résister à une sécheresse, mais pas à 8 sur 10 ans », confie Emmanuel Bernard, vice-président de la FNB (Fédération nationale bovine). Une triste réalité pour les éleveurs de bovins qui peinent à refaire leurs stocks de fourrage d’une année sur l’autre.

 

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Cette année, la sécheresse touche particulièrement des bassins allaitants, même si les élevages laitiers ne sont pas épargnés. Au 3 août 2020, une grande partie de la Région Grand Est et de la Bourgogne-Franche-Comté, le nord de l’Occitanie et de la Nouvelle-Aquitaine, les Pays de la Loire et le Centre-Val de Loire sont fortement impactés.

 

« La décapitalisation, c’est le poison de la filière »

C’est la troisième année consécutive que la sécheresse frappe le pays et ses agriculteurs. Et cette année pourrait être encore un peu plus difficile à traverser : « Nous sommes dans un cas de figure qui ne s’était jamais présenté, explique Guy-Marie Mornet, conseiller en nutrition à la chambre d’agriculture de la Dordogne. Jusqu’à maintenant, on trouvait de la paille pour compenser. Mais cette année, les récoltes catastrophiques en céréales rendent sa disponibilité limitée et son prix, extrêmement élevé. »

 

Les stocks d’hiver sont pour beaucoup déjà entamés et les surcoûts alimentaires élevés. L’alimentation est souvent déséquilibrée et/ou pas assez dense, poursuit Guy-Marie Mornet. Les animaux deviennent alors plus faibles, moins résistants. Pour les élevages laitiers, la qualité et la quantité de lait diminue immédiatement. Chez les allaitants, les conséquences apparaissent plus tard, notamment au sevrage des veaux.

 

Certains éleveurs sont donc contraints de vendre prématurément leurs animaux, un peu moins lourds. D’autres les vendent avant l’engraissement. Il y a un vrai risque de décapitalisation. Et la décapitalisation, « c’est le poison de la filière », commente Emmanuel Bernard.

 

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Des solutions de secours qui vont peser lourd

François Nugue, éleveur de vaches charolaises dans la Saône-et-Loire, a été contraint d’emprunter pour acheter de la paille, du foin et des minéraux au mois de juin. Les animaux en phase d’engraissement ont le privilège de goûter à l’enrubannage et à la luzerne. Mais l’éleveur le sait, il devra vendre et sevrer plus tôt certaines bêtes, quitte à voir ses revenus diminuer. En contrepartie, il espère limiter au maximum ses charges supplémentaires et éviter la décapitalisation de son cheptel.

 

Les rations de paille sont complétées par des minéraux pour compenser le manque nutritionnel, notamment chez les animaux en gestation. Le coût est élevé, mais des veaux trop chétifs compromettraient la suite de la saison.

 

François Nugue ne compte pas sur le système assuranciel pour l’aider. Il en est convaincu, la meilleure solution est de pouvoir anticiper ses stocks, à condition d’avoir des revenus pour les constituer. Mais comme le souligne Thierry Roquefeuil, président de la FNPL (Fédération nationale des producteurs laitiers), la constitution de stocks est intimement liée à la capacité des infrastructures. Et celles-ci ne sont pas les mêmes chez tous les éleveurs.

 

Pour François Nugue, les modes d’élevage n’auront d’autre choix que d’évoluer et s’adapter pour survivre à la répétition d’aléas climatiques extrêmes. C’est tout une réorganisation des moyens de production, de récolte et de stockage qui est à engager, complète Emmanuel Bernard.

 

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Repenser son système pour survivre

À la ferme expérimentale de Jalogny, en Saône-et-Loire, 140 mères charolaises réparties en 3 troupeaux participent à la recherche. « Nous avons 95 % de prairies naturelles, explique Jérémy Douhay, chef de projet sur le site. Les leviers potentiels à introduire chez nous sont donc restreints. […] Nous bâtissons malgré tout différents scénarios en intégrant des leviers d’adaptation. »

 

Parmi ces leviers, la réduction du nombre de vêlages permet de diminuer le chargement. Ce dernier intégrera un seuil de sécurité avec des quantités de matières sèches à stocker par UGB revues à la hausse. Cette piste de réflexion est soutenue par Thierry Roquefeuil, qui rappelle cependant que « la ferme doit rester rentable ».

 

L’intégration de pâturage tournant fait aussi partie du programme : « Un circuit de pâturage est défini pour gérer au mieux la hauteur d’herbe qui doit rester comprise entre 5 et 13 cm », explique Jérémy Douhay. Sur les quelques hectares de cultures, la ferme travaille sur l’introduction de dérobées d’été pour augmenter les stocks d’herbe avant le semis de céréales.

 

Pour Guy-Marie Mornet, l’accompagnement technique individuel est primordial pour s’adapter aux aléas climatiques. « Je suis intimement convaincu que les éleveurs pourraient être autonomes en fourrages en modifiant leurs pratiques. […] Les prairies pourraient produire plus en intervenant plus tôt. J’estime au minimum un gain d’une tonne de matière sèche par hectare. » Mais pour ce faire, les éleveurs ont besoin d’un œil extérieur.

 

Pour Emmanuel Bernard et Thierry Roquefeuil, il y a également un moyen de donner des réponses fourrages par la recherche variétale. « Il faut aller voir dans les pays plus secs, il faut accélérer cette recherche », argumentent-ils.

 

Le parcours du combattant pour les retenues d’eau

« Il y a un travail à faire sur les retenues d’eau », ajoute Thierry Roquefeuil. Leur mise en place fait face à une lenteur administrative. Pourtant, il est urgent d’agir, insiste le président de la FNPL, ajoutant que « des pans entiers de l’économie agricole pourraient disparaître ».

 

Une position que partage Guy-Marie Mornet, qui soutient que les productions animales comme les végétales pourraient profiter d’eaux retenues à la période hivernale. Selon lui, l’impact environnemental ne serait pas aussi négatif que le prétendent certaines associations. Sans compter que combler l’alimentation par du concentré a aussi un impact écologique et énergétique, rajoute-t-il.

 

Le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, annonçait le 31 juillet vouloir « simplifier » la construction de retenues d’eau.