Dans sa proposition de budget pour la période qui s'étend de 2028 à 2034, la Commission européenne suggère de fusionner les subventions agricoles et régionales en des plans nationaux négociés directement entre Bruxelles et les capitales. L’idée aboutirait à la mise en place de 27 plans de partenariat nationaux et régionaux (PPNR) et marque une rupture avec l’organisation actuelle. Cette orientation suscite de fortes réserves chez de nombreux acteurs — agriculteurs, Régions, mais aussi Parlement européen — qui craignent une recentralisation et une perte d’autonomie territoriale. Pour les acteurs français, cette mutation implique un changement profond des méthodes de travail et de répartition des responsabilités, comme l’explique le conseiller à l'agriculture de Régions de France, Justin Amiot, contacté par La France Agricole le 17 novembre.
Chambardement organisationnel
Là où prévalait jusqu’ici un fonctionnement en silos, l’interconnexion des financements européens impose désormais une coordination transversale. « Pour les Régions, cela veut dire que les équipes qui gèrent aujourd’hui la politique territoriale, la cohésion, la Pac ou la pêche travaillaient séparément, et qu’il va falloir désormais se parler », explique Justin Amiot. Le ministère de l’Agriculture a défendu, comme Régions de France, le maintien de dispositifs autonomes pour la Pac et la politique de cohésion. « Il semble vraisemblable que ce ne soit pas ce qui va se passer », reconnaît le conseiller, ajoutant que « plusieurs signaux convergent » vers l’adoption d’un PPNR unifié.
La réforme pourrait donc « rebattre les cartes, notamment sur le partage des responsabilités entre l’État et les Régions », souligne Justin Amiot. Cette réorganisation structurelle contraste, selon lui, avec les réformes des vingt dernières années, marquées par des ajustements « à la marge » et « cosmétiques ».
Consciente des inquiétudes qui s’expriment, la Commission a commencé à ajuster sa proposition. Dans un courrier daté du 9 novembre, sa présidente Ursula von der Leyen a donné des garanties quant à la place des Régions dans la gestion des fonds. Sur son compte X (ex-Twitter), elle assure que « les autorités régionales pourront continuer à échanger directement avec la Commission dans les États où une partie des fonds sera régionalisée, sans passer par le filtre national ». Une annonce « très importante pour nous », se félicite Justin Amiot.
Les contraintes budgétaires ajoutent une nouvelle couche de complexité au débat. « La proposition de la Commission implique un niveau de cofinancement très important, supérieur à celui de la période actuelle, alerte le conseiller. Vu l’état des finances nationales, qui se répercute sur les collectivités, toute cette discussion va se faire sous contrainte budgétaire, encore plus que par le passé. » L’UE doit également composer avec une compression budgétaire. « Le PPNR sert aussi à regrouper des fonds pour masquer une baisse généralisée de 20 % des budgets », explique Justin Amiot, qui ajoute que la réforme est « pilotée pour des raisons d’abord budgétaires, plutôt que pour des raisons de politique publique ».