Depuis une dizaine d’années, différents sujets agricoles tels que le bien-être animal, le partage de l’eau, les OGM, les produits phytosanitaires, etc. questionnent de plus en plus la société. « On peut dire qu’au sujet des produits de protection des cultures, un des éléments déclencheurs a été en 2008 le lancement du Grenelle de l’environnement, qui a abouti en 2009 à la sortie du premier plan Ecophyto », estime Christian Durlin, représentant de la FNSEA.
« Au début, il y a eu des débats d’experts mais assez rapidement, peut-être au travers de différentes actions médiatiques, des associations environnementales se sont saisies du sujet. Ensuite, des articles à destination du grand public sur leurs possibles conséquences ont créé des caisses de résonance dans la société civile », ajoute Jérémy Dreyfus, responsable du service des productions végétales à Chambres d’agriculture France.
Des reportages à charge
En effet, depuis les médias se sont de plus en plus fait l’écho de ces préoccupations, aboutissant régulièrement à des reportages à charge, parfois traités « à la vite » et donc très anxiogènes pour les consommateurs. On a par exemple tous en tête des émissions du type « Cash Investigation ». Cette pression médiatique a même pu aboutir, dans de rares cas à des agressions d’agriculteurs, notamment lorsqu’ils traitaient leurs parcelles.
Dans le même temps, la communication n’a pas toujours été le point fort du milieu agricole. « Or, les produits phytos représentent un sujet particulièrement compliqué à aborder, je dirais même qu’il est électrique. D’autant que ces reportages ont mis en avant leurs inconvénients, et c’est vrai qu’il en existe ! », considère Denis Beauchamp, président de l’association FranceAgriTwittos.
Pourtant, la profession le rappelle, ces produits ont aussi de nombreux avantages ! « À mon avis, on a oublié leur rôle de protection des cultures, appuie Christian Durlin. On ne peut parler de santé et d’environnement, sans discuter aussi de questions d’alimentation et de souveraineté alimentaire. Avec la Pac et l’évolution des techniques de production, sur une cinquantaine d’années, et grâce à la chimie, on a atteint d’abord l’autosuffisance alimentaire en Europe, puis la capacité économique d’exporter, ce qui est loin d’être neutre. Mais surtout, cela a permis d’avoir une alimentation à un prix abordable pour le citoyen. »

Chartes d’engagement
Et finalement, on constate que, de leur côté, les consommateurs n’ont souvent que des bribes d’information et aussi très peu de connaissances sur le sujet. C’est pourquoi, au fil des ans, des initiatives ont vu le jour afin de mieux les informer. Une des actions phares dans ce domaine a certainement été la mise en place de chartes de bon voisinage devenues ensuite chartes d’engagement. Ainsi, à la suite de la promulgation de la loi d’avenir pour l’agriculture en 2014, la profession s’est mobilisée pour l’élaboration et la mise en œuvre d’arrêtés préfectoraux permettant de protéger les lieux accueillant les personnes vulnérables. Cela a ensuite été étendu aux résidents et aux personnes présentes, puis aux personnes travaillant régulièrement à proximité des zones traitées.
« Les chartes ont été une opportunité de dialogue, estime Christian Durlin. Le travail qui a été fait durant plusieurs années, a amené les organisations professionnelles à ne pas simplement traiter le sujet des produits phytos sur un plan technique mais aussi à construire des éléments d’explications, des argumentaires qui ont été développés dans beaucoup de chambres d’agriculture et de FDSEA afin d’être en capacité d’expliquer aux riverains, citoyens, élus… la réalité du terrain. »
Prévenance collective et individuelle
De plus, des informations de prévenance collective ont été mises à disposition sur les sites des chambres et sont régulièrement mises à jour. Chacune d’elles choisi ses propres modalités. Ainsi, en Normandie le document « Les phytos, parlons-en » rappelle que les agriculteurs sont des professionnels formés, mais aussi à quoi servent ces produits, quels sont les alternatives existantes… Elle propose également des tableaux de probabilité de traitement quand d’autres départements ont opté pour des calendriers indicatifs d’intervention par culture, par exemple.
« En complément, la prévenance individuelle a été mise en place avec ce qui a été principalement retenu : l’emploi du gyrophare durant la pulvérisation des produits. En effet, il s’agit de la solution la plus facile à mettre en œuvre », considère Lucien Gillet, chargé de mission pour la réglementation phytosanitaire à Chambres d’agriculture France. Mais d’autres départements ont opté pour des solutions différentes comme en Saône-et-Loire avec la mise en place d’une application. Et sur certains territoires des agriculteurs préviennent de leur propre initiative leurs voisins par SMS.
« De notre côté, nous informons effectivement nos quelques voisins quand il va y avoir des odeurs, de la poussière, du bruit ou un passage de produits phytosanitaires. Et pour le moment, nous n’avons eu aucune remarque. Toutefois, il existe des situations bien plus complexes, notamment au bord de grandes villes avec linéaires de 10, 20, 30 ou 40 maisons ! », constate Philippe Noyau, élu aux Chambres d’agriculture France.
Contrat de solutions
Consciente des attentes des citoyens liées à l’utilisation des produits phytosanitaires, la filière agricole s’est en outre engagée dans le contrat de solutions pour « une trajectoire de progrès pour la protection des plantes ». Ce dernier s’emploie aussi à développer des méthodes de communication, des journées d’échanges entre les mondes agricole et non agricole. Par exemple, quatre visuels ont été co-construits avec les acteurs agricoles de certains départements, afin d’engager le dialogue autour de la protection des cultures avec les citoyens. Ces visuels donnent des éléments de langage pour les agriculteurs et peuvent être utilisés lors de fermes ouvertes ou d’évènements à destination du grand public, notamment.
Le contrat de solutions devrait aussi proposer sous peu un jeu de plateau nommé « codes d’agris » afin d’accompagner les producteurs à mieux communiquer vers l’extérieur (voisins, élus locaux, écoles, promeneurs…) et le tout de façon positive. « Il va mettre l’agriculteur dans des situations concrètes de questionnement, tout en l’invitant à argumenter ses propos de façon simple grâce à des exemples.
Diverses webséries ont aussi vu le jour ces dernières années afin de casser les préjugés sur le monde agricole. C’est le cas par exemple de la chaîne Tag, une initiative de la FNSEA du Grand Bassin parisien, qui a été mise en ligne en 2021. Elle traite toutes sortes de sujets dont certains consacrés aux produits phytos (Glyphosate : désherber les idées reçues, Les phytos tuent ? etc.). « Il y a eu plus de 100 000 vues. Et grâce à une sponsorisation pour cibler le grand public, nous savons que 75 % de la vidéo est regardée entièrement », insiste Juliette Karbouche, de la FNSEA.
Des portes ouvertes peuvent également avoir tout leur intérêt. Philippe Noyau, adhérent de Bienvenue à la ferme, en propose une fois par an avec son frère : « C’est souvent le moment d’aborder ce dossier de la protection des plantes, sans tabou. De dire comment on protège les plantes, le citoyen, l’eau, le sol, et la biodiversité. Et c’est dans l’ensemble bien accueilli par les visiteurs. »
Un peu partout d’autres initiatives voient le jour. Par exemple dans le Nord-Pas-de-Calais, l’association le Savoir vert, qui compte plus de 100 fermes, accueille des classes sur les exploitations, l’occasion d’aborder entre autres ce sujet.
Numéro vert
« On s’est rendu compte que lorsque l’on discutait avec nos voisins, il y avait beaucoup d’a priori sur l’agriculture. Or, en parlant de ce qu’on faisait sur notre ferme, les choses se détendaient, explique Olivier Coupery, un des trois porte-parole du collectif Ici la terre, et agriculteur à Montfort-l’Amaury, dans les Yvelines. On a donc lancé en septembre 2019 un numéro vert (0 805 382 382) pour permettre au grand public de poser ses questions directement aux professionnels. Le service est ouvert de 9 h à 18 h en semaine et le samedi jusqu’à midi aussi. Une trentaine d’agriculteurs du Nord et du Centre-Île-de-France se relaye par créneaux de 2 heures. Les questions peuvent aussi être posées par internet (https://collectif-icilaterre.fr) et la personne est ensuite rappelée. Ils reçoivent 10 à 30 questions par mois.
Tous les sujets peuvent être abordés, sans filtre. La moitié concerne les phytos. D’ailleurs, ce numéro a été créé dans un contexte tendu sur le glyphosate. Il y a eu donc beaucoup d’appels à ce sujet mais aussi sur les néonicotinoïdes, ou encore les ZNT (zones non traitées) riverains. « Les échanges sont plutôt sereins, certains habitants appellent quand les traitements ne sentent pas bon, on essaye de dédramatiser, de dire qu’il y a des règles d’homologation… Nous n’essayons pas de convaincre mais d’expliquer », ajoute ce dernier.
Mais si effectivement il est plus simple d’être en « face à face » pour échanger, notamment sur ce thème délicat, ce n’est pas toujours possible. « Présent sur Twitter, Facebook, Instagram, l’avantage des réseaux sociaux, c’est qu’on est une communauté d’agriculteurs », appuie Denis Beauchamp, président de l’association FranceAgriTwittos, créée en 2017. Elle a désormais 500 adhérents, majoritairement des agriculteurs et agricultrices ou des personnes du monde para-agricole. « Mais depuis deux ans, des gens venant de l’extérieur adhèrent aussi. Ils se disent qu’il vaut mieux aller chercher l’information à la source », fait-il part.

Réseaux sociaux
Le but de l’association est en effet de faire de la communication « authentique », c’est-à-dire d’expliquer l’agriculture telle qu’elle est pratiquée, ce qui ne correspond pas ce qu’on voit dans les médias. « On explique notre quotidien, ça génère un dialogue, voire un débat mais ça fonctionne bien, ajoute Denis. Les phytos ne reviennent dans nos tweets pas plus souvent que nécessaire mais on ne se censure pas sur ce sujet. Sinon, on n’a rien compris ! On n’a pas à avoir honte : ce sont des produits, évalués et homologués par les autorités sanitaires. »
S’il peut y avoir parfois des messages d’insultes, l’association constate qu’il faut prendre du recul d’autant que beaucoup demeurent tout de même positifs : « Merci, je n’avais pas compris » ou « c’est plus compliqué que ce que je croyais. »… Pour apprendre à survivre sur les réseaux sociaux, FranceAgriTwittos a d’ailleurs édité « Comment communiquer efficacement quand on est agriculteur (et qu’on manque de temps !) ».
Formations
Afin d’aider les agriculteurs à communiquer sur les phytos, des formations sont également proposées, comme dans les chambres d’agriculture ou dans le cadre du Certiphyto ou du conseil stratégique phytosanitaire. Corteva propose de son côté « Positif par nature », qu’a suivi à distance Bruno Cardot, agriculteur et influenceur sur les réseaux sociaux. « Nous nous sommes en effet rendu compte que souvent les agriculteurs étaient démunis pour expliquer leurs pratiques de façon pédagogique, mais aussi réaliste, et sans faire peur. Et de l’autre côté les consommateurs néophytes, ont une vraie soif de comprendre », rapporte Blandine Bonière chez Corteva.
Elle rappelle ainsi qu’en moyenne 10 % des personnes sont acquises à la cause et 80 % ont juste envie de comprendre. Quant aux 10 % restants, les détracteurs irréductibles, tout le monde s’accorde pour dire qu’il ne sert à rien d’y passer trop d’énergie. Nadège Petit, agricultrice dans l’Eure, résume : « Je n’en parle plus frontalement, je trouve que ça ne sert à rien. C’est comme mettre des photos de viande sur les réseaux pour convaincre les vegans : ça ne marche pas ! Mais on peut leur dire, je comprends que ça vous inquiète mais dans notre quotidien, on fait le maximum pour limiter leurs effets. »