Le 17 mars 2025, Pierre Cazes, à la tête de 140 limousines à Espartignac, en Corrèze, profite du soleil pour commencer à lâcher ses lots de vaches. « Je pratique toujours en deux temps, explique-t-il. Je sors d’abord les mères dans la petite parcelle à côté du bâtiment pendant quelques heures. »
En deux temps
Le lendemain, elles sont lâchées avec les veaux, pendant quelques heures aussi. Leur joie de retrouver le pâturage est passée. Elles peuvent davantage s’occuper de leur progéniture, complètement désorientée dans ce nouvel environnement. La pratique limite ainsi les franchissements de clôtures incontrôlés. « Quand ils sont disponibles, je demande à mon épouse, à mes enfants ou à mes beaux-parents de se placer derrière les fils électriques pour que les animaux puissent repérer plus facilement la limite de la parcelle », ajoute-t-il.
Le surlendemain, le lot rejoint son îlot de pâturage, qu’il occupera jusqu’à l’automne. « J’ai choisi de reprendre l’exploitation à Espartignac car son parcellaire était regroupé, précise Pierre Cazes. C’est un atout pour une bonne gestion de l’herbe. Pour chaque îlot, j’essaie de séparer l’espace suivant des couloirs sur lesquels les animaux avancent chaque jour avec un fil avant et un fil arrière. » En fonction de la vitesse de la pousse, le retour sur le premier paddock s’effectue avant le tour complet. Une partie de la surface est donc récoltée. « C’est pourquoi, il est préférable de ne pas installer des clôtures intermédiaires fixes », souligne le jeune exploitant.
Augmentation de la productivité
« Ce rythme d’avancement quotidien permet d’augmenter la productivité de l’herbe de 1,3 par rapport à un changement tous les cinq jours », observe Stéphane Martignac, conseiller en fourrages à la chambre d’agriculture de la Corrèze. Reste que la pratique demande une organisation bien rodée, aussi bien pour la mise en place des nouvelles clôtures que pour l’abreuvement.
Pour celui-ci, Pierre Cazes a installé un réseau d’alimentation en provenance des points d’eau existants de l’exploitation (forage, source…). Ce sont des tuyaux, soit posés sur le sol, soit enterrés. Ces derniers présentent l’avantage de conserver la fraîcheur de l’eau pendant l’été. Des possibilités de raccordement sont prévues tout au long de la parcelle.
« J’ai fabriqué les bacs moi-même avec des bidons de 200 litres coupés en deux, illustre l’éleveur. Il a suffi de placer un flotteur (environ 80 euros) à l’intérieur. Comme la parcelle ne mesure jamais plus d’un demi-hectare, cette capacité réduite n’est pas gênante. Tous les animaux ne sont jamais loin de la réserve et peuvent boire quand ils le veulent. Il n’y a pas de phénomène d’abreuvement en groupe comme c’est le cas lorsque la réserve est placée à l’extrémité d’un paddock de grande dimension (si les animaux doivent marcher plus de 200 m pour boire). »
L’autre partenaire indispensable, c’est le quad équipé d’un système pour poser et déposer le fil et les piquets sans descendre du véhicule. Il sert tous les jours pour passer en revue les sept lots d’animaux. Pour gagner du temps, les lots composés de quarante têtes ou plus sont possibles, comme le pratiquent les éleveurs laitiers. Le frein en élevage allaitant, et pour Pierre Cazes, c’est la conduite séparée des vaches suitées de veaux mâles ou femelles pour une meilleure complémentation. Les dates de vêlage, encore trop espacées, limitent la possibilité de faire des lots homogènes importants.
Lâcher tôt
Comme il est aussi conseiller en bovins à viande à la chambre d’agriculture de l’Aveyron, Pierre Cazes a étudié le pâturage tournant à la journée avant de le mettre en application, puis l’a vulgarisé dans le cadre de son activité. La valorisation de l’herbe fait partie des sujets qu’il lui plaît d’explorer. Il suit les recommandations de l’agronome André Voisin (1), « plus connues à l’étranger qu’en France », regrette-t-il.
Les sommes de températures et les bulletins de la chambre d’agriculture sont aussi des repères qu’il utilise. Au 17 mars, la somme de température (340°C) avait dépassé le cap des 300°C, déclencheur de la mise à l’herbe. Pierre regarde aussi la floraison des pruniers sauvages et il tient compte des phases lunaires. Dans tous les cas, il faut veiller à ne pas lâcher les animaux trop tard. « C’est la vache qui attend l’herbe et non l’inverse », insiste Stéphane Martignac. Trop attendre, c’est risquer d’être débordé par la pousse et de gaspiller le fourrage riche et précieux.
Des surfaces bien entretenues
« La culture des prairies doit être gérée comme toutes les cultures, estime-t-il. Je réalise des analyses de sol régulièrement et j’ai investi 8 000 euros d’amendement par an pour redresser le pH. La recalcification de fond est fondamentale pour le complexe argilo-humique. C’est lui qui favorise une bonne structuration du sol, indispensable à une bonne productivité des plantes et une meilleure résilience à la sécheresse. »
L’amélioration de la flore est un autre objectif poursuivi par le jeune exploitant. « J’implante des mélanges multi- espèces, décrit-il. Je privilégie les mélanges cultivés et récoltés ensemble. Beaucoup de produits du marché sont composés d’espèces cultivées en pur et mélangées juste avant la vente. Je limite la présence du dactyle, espèce pauvre en sucres qui est davantage dégradée dans les intestins alors qu’il serait préférable qu’elle le soit dans la panse. Je lui préfère des graminées aux feuilles plus brillantes qui sont aussi plus appétentes. »
Petit à petit, sept ans après son installation, cette technique a favorisé l’augmentation du chargement de 1,4 à 1,8 UGB/ha, tout en restant autonome en fourrages et sans consommation supplémentaire de concentrés.
(1) Productivité de l’herbe. Édition originale de 1957, disponible aux éditions France Agricole.