Il est peu dire que le dernier échange public d’Emmanuel Macron avec le monde agricole avait été mouvementé. Deux mois après une ouverture du Salon international de l’agriculture inédite, le président de la République a rassemblé à l’Élysée ce 2 mai 2024 les interprofessions et les syndicats agricoles pour donner des perspectives au secteur qui s’est mobilisé ces derniers mois pour exprimer sa colère et ses préoccupations.

Accélérer le déploiement des mesures engagées

Après que chaque participant à la réunion a pu présenter sa vision de l’agriculture dans un climat apaisé et constructif selon les parties prenantes, Emmanuel Macron a d’abord donné son sentiment sur les mesures présentées par le Gouvernement pour répondre à la crise.

Selon des propos relatés par Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, et Arnaud Gaillot, président de Jeunes Agriculteurs (JA) lors d’une conférence de presse organisée à la suite de la réunion, le président de la République souhaite que leur déploiement soit accéléré.

Défendant une mise en œuvre rapide de l’actuelle loi d’orientation agricole en débat, il souhaite également qu’un projet de loi ou une proposition de loi sur les produits phytosanitaires soit présenté à la fin de juin ou de juillet. Concernant la loi Egalim 4 en préparation comprenant sa proposition de « prix planchers », il souhaiterait qu’elle soit applicable dès les prochaines négociations commerciales à l'automne avec des propositions mises sur la table avant l’été.

Un discours à l’automne si le climat est constructif

Une période estivale où devrait se poursuivre le travail puisqu’Emmanuel Macron a proposé une période de concertation durant l’été. Ces échanges se concluraient par un discours à la rentrée où le président de la République livrerait sa nouvelle vision de l’agriculture dans ce qui pourrait ressembler à un « Rungis 2 », selon des propos rapportés par la FNSEA et JA. Une expression qui fait écho au discours qu’Emmanuel Macron avait prononcé en octobre 2017.

Une prise de parole qui serait centrée sur quatre axes : produire pour nourrir, l’adaptation des pratiques, la protection et l’accompagnement à travers notamment le sujet du commerce international et le renouvellement des générations. Le président de la République y livrerait aussi sa vision de la souveraineté alimentaire européenne avec la nouvelle Commission européenne qui sera mise en place après les élections européennes qui se tiendront le 9 juin en France. Le président de la République aurait rappelé durant la réunion la stratégie « Farm to fork » et ses impacts décroissants sur la production agricole.

La FNSEA et JA ne veulent pas attendre les élections professionnelles

Mais Emmanuel Macron n’écarte pas de reporter ce discours après les élections professionnelles des Chambres d’agriculture dont le scrutin doit se clôturer le 31 janvier 2025. Un report privilégié s’il n’a pas l’assurance « d’avoir une partie du monde agricole prête à travailler à cette concertation », relate Arnaud Rousseau. Un président de la République qui ne croirait d’ailleurs pas à la fin des mouvements et mobilisations en raison de leurs « causes protéiformes ». « Considérant que la campagne électorale était un facteur d’interférence dans la définition de la vision de l’avenir de l’agriculture, il était prêt à attendre », ajoute le président de la FNSEA.

Le syndicalisme majoritaire désire que ce discours ait lieu à la rentrée en septembre car « l’agriculture ne peut pas attendre pour des considérations d’élections professionnelles, estime Arnaud Rousseau. Si certains veulent en faire un rendez-vous pour exacerber les débats, cela ne nous semble pas à la hauteur des enjeux. »

La Coordination rurale reste à convaincre

La Coordination rurale (CR) et sa présidente Véronique Le Floc’h ne sont pas sorties convaincues de cette réunion. « C’était une chance pour Emmanuel Macron de nous sortir de la cogestion avec la FNSEA, celle qui nous a conduit dans une crise profonde. Malheureusement, j’ai beaucoup entendu parler d’exporttion. On reste donc dans le même registre », déplore-t-elle.

Le président de la République aurait par ailleurs peu goûté toutes les prises de position de la CR. « Je me suis sentie visée quand il a dit que certains étaient dans l’action parce qu’ils étaient lancés dans les élections aux chambres d’agriculture. Or ça n’a rien à voir, c’est simplement le moment de dire stop à cette politique », se justifie-t-elle.

Même si un consensus semble éloigné, elle souhaite elle aussi que le président s’exprime à la fin de l’été. « Si le président ne prononce pas de discours en septembre, les élections aux chambres d'agriculture pourront quelque part servir de référendum sur le modèle d’agriculture que les agriculteurs veulent », prévient-elle.

Restant sur le sujet du discours présidentiel, Véronique Le Floc’h n’est pas optimiste sur son contenu. « Le risque, c’est d’avoir un discours qui sera du “en même temps” car il voudra faire plaisir à tout le monde. Or on sait que ce n’est pas possible. » Pas question donc de relâcher la pression. « Quand la FNSEA dit que la phase de travail est finie, je dis que non », insiste la présidente de la Coordination rurale.

Un format « intéressant » et qui s’est « bien passé » pour la Confédération paysanne

Pour la Confédération paysanne, le « vrai sujet n’est pas quand », en réponse à la proposition d’Emmanuel Macron sur le calendrier de la prise de parole présidentielle. Le syndicat minoritaire a tenu plutôt à rappeler au président de la République son « engagement sur les prix planchers ». En est ressorti de la part d’Emmanuel Macron des « coûts de productions » et un « nouvel Egalim qui sera opérationnel […] dès les prochaines négociations commerciales », d’après le syndicat qui se réjouit d’un calendrier sur la question.

« Il y a une LOA aujourd’hui, c’est en ce moment qu’elle se discute. C’est elle qui aurait dû traduire ces engagements structurels », regrette Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne, face à un texte qui « manque d’ambition sur le renouvellement des générations, sur le foncier et sur le revenu ».

Les difficultés du monde agricole ne relèvent pas d’échecs personnels, mais sont « plutôt le produit d’un contexte et de politiques publiques qui ne prennent pas en compte tous les agriculteurs », dénonce Laurence Marandola. L’éleveuse de l’Ariège vise principalement le manque d’accompagnement de l’élevage à l’herbe et les filières des fruits et légumes. Un constat « partagé » par d’autres organisations dans la salle, glisse la porte-parole.

« On nous demande la paix sociale » pour le Modef

Si le rendez-vous avec le président de la République devait permettre de « clôturer » le mouvement de protestation agricole, il ne le fera pas, regrette Pierre Thomas, président du Modef car « le malaise est toujours là ».

« J’ai plutôt l’impression qu’on nous demande la paix sociale jusqu’aux élections européennes », réagit l’élu à l’issue de la rencontre. « Le logiciel est à au bout du rouleau, explique-t-il. Mais qu’est-ce qu’on y met derrière ? Aucune grande orientation n’est ressortie de cet entretien. […] Ils ne savent plus comment sortir de cette situation agricole. »

« Dire que le cap de l’inflation est passé ne va pas suffire à rassurer les agriculteurs », souligne le président du Modef, qui milite pour des solutions à moyen et long terme pour sécuriser les revenus agricoles, au-delà de simplement « régler les problèmes de trésorerie ».

Sur l’aboutissement d’un prix minimum garanti avant les prochaines négociations commerciales, Pierre Thomas se veut prudent. « On doit y travailler après les élections européennes, mais nous n’avons pas eu de date butoir », indique-t-il. Seul gage obtenu, la mise en place de concertations mensuelles entre les organisations professionnelles et le Premier ministre.