«En France, 2,1 traitements ont été, en moyenne, appliqués sur blé tendre au cours de l’année 2019. S’il faut réduire de 50 % l’utilisation des produits, le plus facile c’est d’abandonner le T1, considère Jean-Yves Maufras, expert maladies des céréales à paille chez Arvalis. Nous avons démontré, à travers l’emploi d’outils d’aide à la décision (OAD) et l’évolution génétique des variétés, que ce premier passage n’est pas rentable dans la majorité des situations. »
Plusieurs éléments étayent les propos de l’institut quant à l’intérêt de cette première intervention sur blé tendre. Si elle cible souvent la septoriose, parfois la rouille jaune, pour les variétés les plus sensibles et les régions plus océaniques, on remarque que le piétin verse comme l’oïdium font désormais rarement l’objet d’un traitement.
Résistance variétale
Et pour cause, les agriculteurs emploient davantage de variétés plus résistantes aux maladies qu’auparavant. « Sur les quinze les plus utilisées en 2018, quatre étaient peu sensibles à la septoriose et huit résistantes à la rouille jaune », précise Arvalis. À cela s’ajoutent des printemps souvent plus secs ces dernières années, ainsi qu’une épidémie de septoriose plus tardive.
De plus, l’institut rappelle que la rentabilité d’un T1 n’est assurée que dans 27 % des cas. Il souligne également que la contribution du T1 est plus limitée (+ 1, 6 q/ha) lorsque le T2 a lieu tôt. « Ne pas traiter est la pratique le plus fréquemment rencontrée et devient donc la règle », résume Arvalis.
Les recommandations (voir l’infographie ci-dessus) sont désormais d’intervenir avant le stade dernière feuille étalée, seulement en présence de rouille jaune sur variétés sensibles ou moyennement sensibles à ce pathogène. Le traitement intégrera un fongicide de la famille des IDM (triazoles) ou des Qol (strobilurines). « Un peu de soufre peut être associé pour renforcer l’activité contre la septoriose », précise Arvalis. De même, quand le risque de rouille jaune est nul, si la septoriose se développe précocement, une application est conseillée. On optera pour du biocontrôle seul ou combiné à une solution conventionnelle.
« Si l’on regarde les statistiques, huit fois sur dix, il n’y a pas besoin de premier traitement, résume Claude Maumené, en charge, entre autres, du biocontrôle chez Arvalis. Grâce aux OAD et à des variétés résistantes, productives et présentant de bonnes valeurs boulangères (telles que Fructidor, Absalon, Sillon), on peut en faire une règle. »
Pour information, le contrat de solutions estime à 10 % les surfaces de blé suivies par un OAD maladies, tel que Septo-LIS (Arvalis), xarvio Field Manager (BASF), etc. « En 2019, 4 000 agriculteurs ont souscrit à l’offre pour un total de 220 000 ha », précise la firme phytosanitaire, qui aurait une part de marché de plus de 40 % avec cet outil.
Chlorothalonilremplaçable
« Dans ce contexte, le retrait du chlorothalonil (voir l’encadré p. 52) n’est pas si problématique à court terme », estime Jean-Yves Maufras. Il s’agit, certes, de la troisième molécule la plus employée sur blé tendre en 2019, avec 2,2 millions d’hectares traités, mais la majorité des interventions a lieu au T1, dont on peut désormais faire l’impasse. « Seule exception, lorsque la pression septoriose est forte et précoce, le gain de rendement apporté par le T1 peut représenter jusqu’à 10 q/ha », indique Arvalis, qui rappelle toutefois que ce type de situation est peu fréquent.
En revanche, le retrait de cette substance active risque de poser un problème à plus long terme. Son mode d’action est actif sur toutes les souches de septoriose résistantes aux triazoles, aux Qol comme aux SDHI. « On se prive d’une protection très utile, qui a démontré, en plus de quarante ans d’utilisation, sa capacité à ne pas générer de souches résistantes », juge l’institut. De plus, sans chlorothalonil, les autres molécules pourraient être davantage employées et donc exercer une pression de sélection encore plus forte. Toutefois, si l’on suit les nouvelles recommandations d’Arvalis, la suppression du premier traitement aura d’elle-même un impact positif pour la progression des résistances (voir l’encadré p. 50).
En revanche, quand le traitement est nécessaire, il faudra remplacer ce fongicide par une molécule avec un mode d’action de préférence multisite, ainsi qu’une efficacité et un coût satisfaisants. « Si aucune solution alternative ne lui est véritablement équivalente, le folpel est, sans aucun doute, celle qui présente le plus de points communs avec le chlorothalonil », considère Arvalis. Quant au mancozèbe, un autre multisite, non utilisé actuellement sur céréales, il semble présenter une performance insuffisante.
Reste le soufre, lui aussi multisite. « Son action ne peut pas non plus rivaliser, juge l’institut. Mais associé à un triazole, par exemple, ou à une autre molécule de biocontrôle comme les phosphonates, dont l’autorisation est attendue pour 2020, il s’est montré suffisamment efficace pour espérer prendre une place significative au T1. »
À noter : le soufre est un produit de biocontrôle bénéficiant d’un CEPP (certificat d’économie de produits phytosanitaires), qui a été autorisé sur septoriose en 2018 (voir le témoignage p. 51). L’emploi de cette molécule aurait d’ailleurs doublé sur céréales en 2019, pour atteindre 300 000 ha. Arvalis rappelle cependant que certaines formulations peuvent causer des bouchages de filtres et de buses, ainsi que des problèmes après application, liés au séchage de la bouillie sur les parois du pulvérisateur et dans la tuyauterie.
Le T2, un traitement pivot
Au final, excepté les recommandations sur T1 qui changent, pour construire son programme fongicides sur blé, les conseils restent similaires. Il faut diversifier les modes d’action et les substances actives au sein d’un même mode d’action. « En particulier, il ne faudra pas, si possible, utiliser le même triazole plus d’une fois par saison », ajoute Arvalis. Quant à l’emploi de SDHI, il doit se limiter à un passage par campagne et être associé à d’autres modes d’actioncomme les triazoles ou un multisite.
En situation à risque de développement précoce (stade épi 1 cm) de rouille jaune (T0), Arvalis estime que les produits à base de triazoles (ou double triazoles) ont une efficacité satisfaisante. Mais plus encore, c’est le délai entre deux interventions qui est primordial.
« Nous ne remettons pas en cause le T2, qui est le traitement pivot », insiste Jean-Yves Maufras. Pour cette deuxième application, en complément de l’emploi de triazoles, les SDHI et/ou strobilurines trouvent leur place du stade dernière feuille étalée au gonflement. Sur septoriose, l’ajout de prochloraze renforce l’efficacité des triazoles et reste une alternative aux SDHI. En présence de rouille brune, les SDHI ne sont pas indispensables et les triazoles associés à une strobilurine (pyraclostrobine, picoxystrobine et azoxystrobine) continuent de jouer un rôle de premier plan.
Pour venir à bout de la fusariose, l’institut conseille d’éviter l’azoxystrobine pour le T3 (début floraison) et de préférer un triazole anti-fusarium (prothioconazole, tébuconazole, metconazole et bromuconazole) ou Swing Gold (dimoxystrobine + époxyconazole) ou Fandango S (fluoxastrobine + prothioconazole).