Nous voilà au début de novembre et il n’y a toujours pas de retour des consultations publiques sur les zones de non-traitement (ZNT) près des habitations ! Si la synthèse des commentaires devait être connue fin octobre, désormais il serait question de mi-décembre. Il faut dire qu’en à peine un mois, 53 674 contributions ont été recueillies. Cette très forte mobilisation démontre, à nouveau, que le sujet des phytos, ô combien délicat, cristallise l’attention. Si le ministre de l’Agriculture a affirmé, le 22 octobre dernier sur LCI, que le gouvernement « n’irait pas au-delà de 10 m », la pression est telle qu’on s’interroge. Restera-t-on sur 5 m pour les espèces dites « basses », telles les grandes cultures, et sur 10 m pour les « hautes » (arboriculture…) ? Les ZNT iront-elles au-delà, comme le proposent plusieurs maires ?

 

Face à ces incertitudes, certains ont pris les devants dès ces dernières semaines. Agriculteur à Langouët, en Ille-et-Vilaine, commune sous les feux médiatiques, Benoit Morel a modifié son itinéraire technique et son assolement près d’un lotissement (voir encadré ci-dessous).

 

À Hautvillers-Ouville, dans la Somme, Christophe Boizard a, lui aussi, anticipé : « Je ne suis pas loin de la ferme des mille vaches, c’est assez tendu. Pourtant peu concerné, j’ai malgré tout décidé de ne pas semer 5 m de blé sur 300 m de long sur l’une de mes deux parcelles bordant des habitations. Celle-ci colle à Abbeville, qui compte plus de 20 000 habitants. En tant qu’éleveur, si cela venait à être définitif, j’implanterais une fétuque en jachère pour la faucher après la récolte. »

Cultures à bas intrants

Le contexte est tout autre chez Thierry Desforges, à Itteville, dans l’Essonne. Soixante pour cent de ses îlots se situent en bordure de village. « J’anticipe depuis un moment en allant vers des cultures à bas intrants, comme le chanvre. J’avais aussi pensé au miscanthus, mais les filières sont encore trop fragiles. Avec des cultures annuelles, il est impossible, dans mon cas, de répondre à de telles exigences tous les ans, d’autant que mes bonnes terres sont, pour leur majorité, en bordure de zones urbanisées. »

 

Christian Durlin, vice-président de la commission environnement à la FNSEA, relativise : « En grande majorité, les exploitants ont emblavé leurs parcelles comme à l’habitude. Les textes ne sont pas encore sortis, nous avons toujours l’espoir de voir diminuer ces ZNT, ou mieux, qu’elles soient annulées à l’aide de dispositifs spécifiques. » Déjà malmenés par les conditions météo, les semis des cultures d’hiver n’ont, en effet, que rarement été pensés en fonction de cette réglementation, même si tous s’interrogent quant à sa transcription pratique.

 

« Si nous laissons, en bord de champ, une rangée d’arbres non traités, elle deviendra vite un nid à insectes et à maladies, estime Patrice Raujol, arboriculteur, à Nègrepelisse, dans le Tarn-et-Garonne. Qui va nous rembourser les pertes, notamment dans les jeunes vergers ? » Les plus récents sont déjà plantés à 5 m minimum des propriétés­, ce qui lui fait perdre 5 à 6 % des surfaces. « Imposer 10 m, c’est la fin du métier ! », juge ce dernier, certifié HVE et qui a déjà 30 % de vergers en bio et 30 % en zéro résidu pour Blédina.

Qui entretiendra les couloirs ?

« Quelle distance va être prise en compte, soulève Nicolas Galpin, agriculteur à Auvernaux, dans l’Essonne. Depuis le bâti ou la limite de propriété ? Comment va-t-on mesurer ? »

Alain Iches, président de la FDSEA du Tarn-et-Garonne et éleveur bovin, qui risque de perdre 10 % de sa surface, rappelle quant à lui : « Nous sommes montrés du doigt mais nous n’utilisons que des produits autorisés. »

 

Le service environnement de la FNSEA s’inquiète de possibles ZNT incompressibles, comme celles qui pourraient être mises en place pour les produits dangereux. Elles laisseraient beaucoup d’espaces vacants, où des plantes envahissantes ou toxiques pourraient se développer. Qui les entretiendra ? « Si on garde 5 m de maïs ensilage non traité, il sera plein de daturas, confirme Benjamin Roquebert, éleveur de bovins viande et céréalier à Capens, en Haute-Garonne. On va empoisonner les animaux et les graines récoltées avec la moissonneuse vont se répandre partout. »

 

Luc Mesbah, céréalier à Longages, en Haute-Garonne également, met en avant, lui aussi, l’entretien de ces couloirs de 5 m : « Même si nous les entretenons, les risques d’incendie à proximité des maisons vont se multiplier l’été. Pas sûr que les assureurs continuent à nous suivre sur ce point ! »

 

« Et si la distance à respecter s’avèrerait être de 150 m ?, se questionne Gérard Thuegaz, à Fontenay-le-Vicomte, dans l’Essonne. J’ai des parcelles qui vont carrément sortir de mon assolement. Vont-elles être comptabilisées en jachères ? »

 

Désormais, tous attendent la sortie du décret et de l’arrêté, deux textes qui doivent entrer en vigueur au 1er janvier 2020, pour savoir sur quel pied danser.