« Mon troupeau est au moins attaqué une fois par an depuis 25 ans. » Depuis la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées en 1996, Michel Estrémé, éleveur ovin à Sentein en Ariège, a perdu environ 600 bêtes. Il fut l’un des premiers à subir les attaques du prédateur. « Il y a les indemnisations, mais élever des bêtes pour se les faire bouffer par des prédateurs, ce n’est pas la finalité », tranche son épouse et associée, Véronique.

Des investissements à faire

À près de 1 300 mètres d’altitude, leur exploitation est à l’orée d’une forêt où « sept ours ont été dénombrés ». Et 69 dans les Pyrénées centrales, dont cette zone de l’Ariège est le cœur. Il y a 8 ans, le couple d’éleveurs a clôturé son parc de 20 hectares : « Ça devenait invivable. » Ce choix a demandé beaucoup de travail et un investissement financier assez faible, du fait des aides de l’État. « Le jour de ma première prédation, j’ai cru que j’étais mort, témoigne Michel Estrémé. Je n’ai pas dormi de la nuit, je ne savais pas quoi faire, je pensais à ma famille… Il faut l’avoir vécu pour le comprendre. »

Depuis quelques jours, Véronique et Michel Estrémé ont « monté » leur troupeau d’ovins et d’équins en estives, à 1h30 de marche de là. Lui se souvient : « Avant, je n’avais qu’à ouvrir le portail et les brebis y allaient seules, le berger les attendait là-haut. Puis on allait les voir toutes les semaines. Maintenant, hors de question ! » Il faut donc embaucher un berger, financé à 80 % par l’État et à 20 % par le groupement pastoral, avec un chien de protection, aménager la cabane, un parc…

Un bilan qui « casse le moral »

« Nous continuons malgré tout à avoir 4 ou 5 attaques par an », constate Michel. Avec un bilan qui « casse le moral » : des animaux tués ou disparus, des brebis stressées qui avortent, mangent moins car elles sont enfermées dans les parcs d’estive dès 22 h… Michel Estrémé assure : « Ça m’a foutu mon troupeau en l’air. Parce que l’ours, il ne prend pas les brebis les plus vieilles. » Tout cela, il l’a dit « lors de nombreuses réunions, à la sous-préfecture ou avec le ministère » où il représentait la fédération pastorale.

Selon lui, « l’État n’entend pas qu’on ne peut pas cohabiter avec l’ours. L’ours s’est adapté, il n’a plus peur de l’homme. » Une chose a changé depuis quelques années, admet toutefois Véronique : « On nous arrose d’argent. Mais on s’inquiète pour les jeunes : il y a tellement de points d’interrogation. Est-ce que ces aides et indemnisations vont perdurer éternellement ? Et l’État, veut-il vraiment maintenir une agriculture de montagne ? »