Les négociations commerciales entre les distributeurs et leurs fournisseurs de marques nationales arrivent à leur terme légal du 1er mars. Dans les dernières heures, il restait encore un grand nombre de contrats à signer selon les différentes fédérations représentant les entreprises agroalimentaires invitées le 28 février à une table ronde organisée par le cabinet d’avocats Tactics au Salon de l’agriculture.

« Tous les contrats seront signés »

Présente également, la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) qui regroupe une partie des enseignes de grande distribution l’assure : « Des enseignes ont communiqué. Le 1er mars au soir, les contrats seront signés », indique Hugues Beyler directeur agricultures et filières au sein de la fédération. C’est sans doute l’effet de la date butoir qui précipite cette accélération alors que très peu de contrats sont conclus au début des trois mois de négociations commerciales qui s’ouvrent le 1er décembre, observent les acteurs.

Comme l’Association nationale des industriels alimentaires (Ania), l’Institut de liaisons des entreprises de consommation (Ilec) réclame que les négociations soient raccourcies d’un mois. Si la directrice juridique de l’Ania, Marie Buisson y voit l’opportunité d’une « application au plus vite des plans d’affaires », ce serait la solution pour Daniel Diot, secrétaire général de l’Ilec de faire sauter un premier mois de négociations vu comme un « délai de crispation qui ne sert pas à grand-chose ».

Au-delà de la durée des négociations, émerge également l’idée, de la part de ces fédérations de la distinction, de fixer différentes dates pour l’amont et en fonction de la taille des fournisseurs. « On a un vrai problème, observe Thierry Dahan, le médiateur des relations commerciales agricoles. Il ne se passe quasiment rien au mois de janvier. Cela influe sur les postures de chacun ».

Haute tension dans les box de négociations

Des postures qui, du côté des entreprises de l’agroalimentaire allaient dans le sens de hausses de tarifs défendues face à la grande distribution. « Les négociations ont été assez agressives cette année avec une tension importante dès le début, indique Marie Buisson. Les distributeurs voulaient des baisses de prix et n’ont pas voulu accepter les hausses présentées et objectivées par les industriels ».

Si la matière première industrielle est « la variable d’ajustement » selon elle, trois quarts des entreprises à l’Ania relèvent un non-respect du principe de sanctuarisation de la matière première agricole posé par les lois Egalim. « Un pas en arrière », ajoute-t-elle. Un constat partagé par Diane Aubert, directrice des affaires publiques de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France qui représente des petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI).

Les distributeurs réclament la transparence

Du côté des distributeurs, c’est de la transparence dans les informations transmises par les industriels qui est réclamée. « Nous avons entendu énormément de données statistiques de hausse et de baisse mais bien souvent, cela n’est pas sourcé », observe Isabelle Senand directrice des études de la FCD.

Hugues Beyler, également de la FCD, abonde et renvoie la balle aux industriels : « La sanctuarisation de la matière première agricole, elle est au premier niveau entre les producteurs et les acheteurs. À partir du moment où elle est connue, évidente et valorisée, nous ne la négocions pas. Charge au premier acheteur de la rendre publique et connue pour savoir quel est son montant ».

Négociations délocalisées

Le médiateur des relations commerciales agricoles n’est pas tendre avec la FCD sur ce point. « Entendre dire par la FCD que dès qu’on connaît le prix des contrats, tout va bien, c’est un peu choquant », alors qu’il observe que dans le secteur laitier où toute la filière est « quasi contractualisée avec la prise en compte des coûts de production », une partie des enseignes délocalisent les négociations à Bruxelles ou à Madrid pour ne plus appliquer la loi Egalim. Daniel Diot de l’Ilec l’a observé sur le terrain. « Certaines enseignent disent que le contrat doit être signé à leur office à l’étranger avec la nécessité de parler anglais ».

Une pratique déjà dénoncée l’année dernière notamment par le gouvernement qui y voyait un moyen pour la grande distribution de contourner les lois Egalim au point qu’émerge l’idée d’un Egalim européen pour contrecarrer la pratique. Un an après, elle semble pourtant avoir le vent en poupe selon les différents acteurs présents sur le stand du cabinet Tactics.

Ce que relativise de son côté la FCD, s’impliquant dans une bataille de chiffres avec les représentants des industriels sur la base de données dévoilées récemment, le 11 février 2025, dans le rapport sur la loi Egalim 2 de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. « Selon la DGCCRF, de 40 % à 50 % des volumes et jusqu’à 20 % de la valeur des produits vendus par la grande distribution en France sont négociés par ces centrales d’achat implantées à l’étranger », relevaient les députés.

« Ils négocient en regardant dans la gamelle du voisin »

Une proportion qui devrait être plus importante à l’avenir note Thierry Dahan. « Ce qui est devant nous, ce ne sont pas les chiffres dont on parle. Ce sont des chiffres beaucoup plus importants et inquiétants. Avant il n’y avait qu’Eurelec (N.D.L.R. : la centrale d’achat européenne de Leclerc). Carrefour a emmené des industriels en Espagne. Il est y est allé doucement la première année car il fallait faire des clauses de rupture de contrat avant de partir en Espagne, mais cette année, Carrefour est montée en régime. Et Intermarché et Auchan, ont dit de leur côté cette année qu’ils allaient partir à Rotterdam avec beaucoup de volumes ».

Une concurrence féroce

Le médiateur explique les raisons de cette stratégie. « Le grand problème en France c’est que les enseignes certes négocient face à leurs fournisseurs mais elles négocient en regardant dans la gamelle du voisin. Et cela pèse beaucoup dans les négociations puisqu’elles sont en concurrence féroce sur le marché de détail. Or, une de leurs craintes c’est qu’une des enseignes n’applique pas la loi comme elle, et soit plus malin pour ne pas l’appliquer du tout ». La solution selon lui ? « Si le législateur compte légiférer, il doit rendre les choses obligatoires et pas discutables ».

Yannick Fialip, président de la commission économique nationale de la FNSEA et seul représentant des agriculteurs autour de la table a la sienne, lui qui observe que les négociations commerciales sont sous une tension plus haute que l’année dernière. « Faut-il que les agriculteurs refassent les mêmes blocages et mobilisations de l’année dernière pour que les négociations soient moins dures ? »