Le 4 novembre 2025, quatre eurodéputés français étaient auditionnés par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale sur les enjeux agricoles européens. Deux députés, Anne-Sophie Ronceret (EPR) et Pascal Lecamp (MoDem), ont sondé leurs homologues européens sur l’éventualité d’une déclinaison européenne des principes de la loi Egalim.

« L’efficacité de ces dispositifs dépend de leur applicabilité réelle face à des négociations qui se jouent de plus en plus à l’échelle transnationale, via des centrales d’achat européennes ou des alliances commerciales internationales », a souligné Anne-Sophie Ronceret. Selon elle, « dans ce contexte, le respect de l’esprit d’Egalim peut être contourné, au détriment des revenus agricoles ».

La parlementaire a identifié trois priorités : sanctuariser la place du prix agricole dans la chaîne de valeur, renforcer l’encadrement des pratiques commerciales déloyales — y compris transfrontalières — et organiser une coopération opérationnelle entre autorités nationales et européennes.

Se souvenir des mobilisations de 2024

Pour Jérémy Decerle (Renew), « les mobilisations agricoles de 2024, partout en Europe, ont mis en lumière un problème profond : celui du revenu des agriculteurs européens. » L’élu a néanmoins appelé à la prudence dans la méthode. « Parler d’une démarche commune inspirée des États-généraux de l’alimentation permettrait de replacer la rémunération des agriculteurs au cœur du modèle économique européen », a-t-il reconnu, avant de tempérer : « En revanche, il faut éviter d’aborder ce chantier avec arrogance ou impatience. Nous ne pouvons pas arriver en Europe « avec nos gros sabots » en disant » : « Il faut faire en Europe ce que nous avons fait en France », car « chaque État membre a son histoire, son modèle agricole et ses équilibres économiques. » 

Un texte sur l’OCM déjà adopté

Céline Imart (PPE) a rappelé qu’elle avait été rapporteure du texte sur l’organisation commune des marchés (OCM), qui constitue selon elle un premier équivalent européen de la loi Egalim. L’objectif de ce texte, adopté au début d'octobre par le Parlement européen : « Redonner du poids aux agriculteurs dans la chaîne de valeur, pour qu’ils puissent enfin vivre dignement de leur travail », a précisé la députée européenne. Le texte prévoit notamment la mise en place de contrats écrits entre producteurs et acheteurs, la prise en compte du prix de production comme base de la négociation commerciale, ainsi que des mécanismes permettant de mieux encadrer la relation entre les différents maillons de la chaîne agroalimentaire.

Aller plus loin

Un autre texte est en préparation, a rappelé Céline Imart, concernant les pratiques commerciales déloyales (directive UTP). « Son but est d’empêcher les centrales d’achat de s’externaliser à l’étranger pour contourner des lois nationales plus exigeantes », a-t-elle expliqué. Elle a néanmoins averti : « Ces textes se heurtent à de nombreux contre-feux et à un lobbying intense de certains acteurs économiques qui considèrent ces avancées comme une entrave au marché unique. » Pour Arash Saeidi, député européen du groupe de la Gauche, « ce texte n’est pas suffisant, mais c’est déjà un premier pas important, et il faut absolument aller plus loin ». Car « adopter des lois protectrices dans un État membre tout en permettant qu’elles soient contournées depuis l’extérieur, c’est se tirer une balle dans le pied, » a-t-il lancé.

Une régulation européenne nécessaire

À l’extrême droite, Gilles Pennelle (PFE) a qualifié d'« absolument essentiels » l’ensemble des sujets évoqués. « Il me paraît indispensable que l’Union européenne s’engage dans un travail de fond sur ces questions, pour que nos agriculteurs puissent vivre dignement du fruit de leur travail », a-t-il souligné.

Au-delà des divergences politiques, le consensus émerge donc concernant la nécessité d’une régulation européenne renforcée pour protéger les revenus agricoles et éviter un « nivellement par le bas » sous couvert d’harmonisation. Le texte sur l’OCM et le projet de directive UTP constituent de premières pierres de cet édifice législatif, mais leur adoption définitive et leur mise en œuvre dépendront de la capacité des États membres et des eurodéputés à résister aux pressions de certains lobbys de l’agroalimentaire et de la distribution.