« On aura beau légiférer, tant qu’il y a ce problème des centrales d’achat européennes, on ne pourra pas appliquer la loi. » Le problème des centrales d’achat européennes, c’est qu’elles « pratiquent l’évasion juridique et piétinent la loi », estime Aurélie Trouvé, députée (La France Insoumise) et corapporteure d’une mission d’application sur la loi Egalim 3 entrée en vigueur en mars 2023.
Dans un rapport présenté en commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale, le mercredi 13 mars 2024, les députés Aurélie Trouvé (LFI) et Frédéric Descrozaille (Renaissance) ont réalisé une première évaluation de la loi Egalim 3 destinée à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.
Le constat global de l’application de la loi est pessimiste. Aurélie Trouvé estime qu’il met en avant « l’impuissance publique ».
Des centrales d’achat échappant au droit français
Il met en avant l’impuissance de l’État à obliger les distributeurs à appliquer la loi française quand ils ont recours aux centrales d’achat européennes. Ces dernières, à l’étranger, ne respectent pas la loi Egalim au motif qu’elle ne s’applique que sur le territoire français.
Pourtant, dans ce cas, c’est bien la loi française qui s’applique même pour les centrales européennes. D’autant que les acteurs de la grande distribution s’engouffrent vers ce mode d’achat concurrentiel. Ainsi, le groupement Les Mousquetaires « envisage de suivre ce mouvement, considérant qu’ils subissent un désavantage concurrentiel vis-à-vis de leurs concurrents s’ils ne le font pas, note le rapport. Ce phénomène est loin d’être neutre : de 40 à 50 % des volumes vendus par la grande distribution en France sont négociés par ces centrales d’achat implantées à l’étranger. »
Les rapporteurs constatent également une opacité des négociations commerciales, notamment sur l’option trois, établie par Egalim. En principe, cette option oblige le transformateur à fournir une attestation sur la part de l’évolution du prix des matières premières agricoles dans ses produits. En réalité, cette option permettrait aux fournisseurs « de ne pas être véritablement transparents sur les matières premières agricoles », pointe Aurélie Trouvé, plaidant pour une suppression de l’option.
Cette opacité « ne permet pas le principe de marche avant » selon lequel les contrats doivent être établis d’abord en fonction des coûts de production des agriculteurs. Or, l’avancée des dates de négociations commerciales au 15 janvier et 1er février ont « encore tendu les négociations commerciales », observe Aurélie Trouvé, qui explique que parfois, des transformateurs ont négocié avec la grande distribution avant même d’établir un prix avec les organisations de producteurs.
Face à ces difficultés, la députée de LFI plaide pour des dates butoirs différenciées, d’abord entre agriculteurs et fournisseurs, puis avec les distributeurs pour assurer le processus de « marche en avant ». Il faudrait légiférer mais l’État se montre « excessivement prudent », déplore de son côté Frédéric Descrozaille.
Manque de moyens de la Répression des fraudes
Mais comment faire quand les entreprises ne respectent déjà pas la loi ? Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, avait annoncé multiplier les contrôles.
Mais ces derniers ne peuvent se faire sans moyens supplémentaires alloués aux contrôleurs, d’après les parlementaires. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et les Driets, qui contrôlent les distributeurs, sont des services de taille modeste. « Pour les brigades de contrôle, il y a uniquement 110 équivalents temps-plein sur tout le territoire, ce n’est rien ! » s’exclame la députée de LFI. « Ces contrôles resteront vains si des sanctions dissuasives ne sont pas plus systématiquement prononcées », écrivent les parlementaires.
Vers un nouveau logo pour l’origine des ingrédients (13/03/2024)
Tous deux témoignent du manque de données criantes. Un rapport sur les marges des distributeurs sur les produits de signes officiels de qualité et d’origine (Siqo) vient tout juste d’être remis. Un second sur l’application du SRP + 10, (ndlr, selon lequel la grande distribution doit faire au moins 10 % de marge dans une optique de baisse de concurrence et d’en faire bénéficier aux agriculteurs) n’est pas toujours pas arrivé sur le bureau des parlementaires.
Alors que la colère agricole grondait cet hiver surtout sur la question des revenus, le Premier ministre s’est dit prêt à lancer le chantier d’un quatrième Egalim.
Des propositions d’ici la fin de l’été
Les députés de la majorité Alexis Izard (Renaissance) et Anne-Laure Babault (Démocrate) ont été missionnés par le gouvernement pour rendre un rapport avant le début de l’été en ce sens. L’objectif n’est pas de créer une nouvelle loi Egalim, un dispositif « qui répond aux attentes des agriculteurs » mais de « trouver le moyen pour qu’elle ne soit pas détournée », assure Alexis Izard. Les parlementaires mèneront de nombreuses auditions pour un point de vue « aussi large que possible » en intégrant un sondage en ligne pour les agriculteurs et les consommateurs, explique Anne-Laure Babault.
Parmi leurs missions, établir un bilan des lois Egalim, offrir des propositions sur le partage de la valeur, réfléchir à l’élargissement de la loi (avec dans le viseur, la restauration hors domicile) dans une optique de simplification. En somme, un « dispositif fonctionnel » qui puisse être élargi à l’Union européenne, sans oublier l’objectif de simplification.
Frédéric Descrozaille prévient : « Si c’est pour rajouter 20 articles à une loi déjà obèse, c’est complètement inutile. »