Dans quelle mesure la colère agricole exprimée ces derniers mois a joué un rôle dans la modification de ce texte dont la présentation a été plusieurs fois reportée ?

La mobilisation a joué sur la simplification, ce que l’on aurait sûrement fait au gré du temps, mais que nous avons accéléré. Cela a permis d’agréger l’ensemble des simplifications attendues, sur lesquelles j’avais déjà commencé à travailler, et de les mettre dans un paquet législatif global.

Sur la haie, nous avions bien l’intention de modifier, mais il aurait fallu un véhicule législatif ad hoc. C’est pourquoi nous avons préféré enrichir le projet de loi, car on ne va pas faire une loi par mesure de simplification.

La deuxième chose, c’est la notion d’intérêt général majeur qui a été renforcée. Il y avait déjà l’évocation de la notion de souveraineté dans le projet, mais la façon dont c’est écrit rend plus puissant le dispositif. Sachant que le cœur de la loi d’orientation n’a pas changé.

À ce propos, que change concrètement l’inscription de « l’agriculture tant qu’elle garantisse la souveraineté alimentaire » comme intérêt général majeur dans la loi ?

Cela vient mettre en exergue que, dès lors qu’on prend une disposition d’ordre législatif, on interroge ce en quoi elle peut perturber la souveraineté alimentaire. Et cela va aussi améliorer la prise en compte de cet impératif par le juge administratif, sur les projets agricoles. C’est un outil puissant à moyen long terme. Au fond, ça vient dire que l’agriculture n’est pas une question annexe, mais essentielle.

« Au fond, ça vient dire que l’agriculture n’est pas une question annexe, mais essentielle », insiste Marc Fesneau. (©  Guillaume Collanges)

Est-ce qu’agriculture et environnement ne risquent pas de s’opposer ?

Nous avons toujours veillé dans ce que l’on a fait et ce que l’on a proposé, à ne pas dire qu’on en rabat sur les objectifs environnementaux. Et je suis le ministre qui a obtenu un budget inédit pour ne pas décréter les transitions, mais les accompagner.

On n’oppose pas agriculture et environnement, on essaye d’évaluer si les règles existantes ne vont pas soutenir des modèles d’exploitation qui, en termes d’environnement, ne sont pas bons.

Le projet de loi prévoit une adaptation de l’échelle des peines en droit de l’environnement. En quoi était-elle nécessaire ?

Actuellement, si vous arrachez 20 mètres de haies linéaires, vous risquez en théorie cinq ans de prison et 300 000 euros d’amende. De telles peines ne sont évidemment jamais appliquées, mais nous avons besoin de revoir le quantum des peines. Avoir le sentiment qu’on est traité comme quelqu’un qui aurait fait du trafic de drogue a quelque chose d’insultant.

Il n’est pas pour autant question de laisser passer des choses qui ne seraient pas légales. Dissuader, expliquer et réparer lorsqu’il y a besoin de réparer. C’est l’esprit de ce qu’on veut faire.

Concrètement que cela va-t-il changer pour les agriculteurs ?

Vous n’êtes plus convoqué par le procureur, les modalités d’interrogation de la gendarmerie ne sont plus de même nature puisque les infractions deviennent des contraventions. Lors des contrôles et lors des procédures, vous n’êtes plus dans le registre du pénal, vous êtes dans un autre registre.

Concrètement, pour ceux qui sont contrôlés, ça change beaucoup de choses. C’est de nature à apaiser la relation avec celui qui est contrôlé. C’est un signal de confiance en nos agriculteurs.

Justement, en termes d’apaisement des relations, où en sommes-nous de la charte avec l’OFB et les chambres d’agriculture ?

Il faut laisser les chambres d’agricultures et l’Office français de la biodiversité (OFB) dialoguer et les laisser conclure au moment qui leur paraîtra le plus opportun. C’est une charte, ce n’est pas la loi. C’est un vade-mecum pratique de ce que peut être un contrôle.

L’affaire du quantum des peines montrera aussi qu’on fait des évolutions législatives. C’est dans ces horizons de l’examen de la loi que les choses pourront avancer. Je trouve bien qu’on essaye d’apaiser la situation parce qu’il y a besoin de contrôles et il y a aussi besoin que les agriculteurs n’aient pas le sentiment qu’on cherche en permanence à les mettre en défaut.

« Il faut laisser les chambres d’agricultures et l’Office français de la biodiversité (OFB) dialoguer et les laisser conclure au moment qui leur paraîtra le plus opportun », estime Marc Fesneau. (©  Guillaume Collanges)

En ce qui concerne le volet de l’installation, le droit à l’essai qui reste actuellement au stade de l’expérimentation est vu comme un outil permettant d’encourager les installations. Qu’en est-il dans le projet de loi ?

On a mis une accroche dans la loi pour pouvoir travailler à des rédactions, car c’est un sujet très attendu mais complexe d’un point de vue juridique. Le débat parlementaire va nourrir le débat et permettre de dire comment ça se décline et comment ça marche.

Les prêts bonifiés pour les jeunes installés doivent-ils être relancés comme le souhaite Jeunes Agriculteurs ?

Il y a 2 milliards de prêts garantis par l’État, dont 400 millions pour l’élevage, dans la loi de finances. L’objectif de ces prêts garantis est de sortir par les systèmes bancaires, des prêts bonifiés de par cette garantie. Oui, il y a un intérêt. L’idée étant que cela permette d’accélérer les transitions et de faciliter les installations.

Est-ce que des mesures pour faciliter l’accès au foncier aux jeunes installés sont prévues dans le projet de loi ?

Le sujet foncier est abordé par les groupements fonciers agricoles d’investissement, ce qui permettra sans doute des débats sur les sujets fonciers.

Le deuxième élément est le fonds de portage « Entrepreneur du vivant » de 400 millions d’euros qui va se déployer à partir du printemps, en lien notamment avec les Safer. Il pourra porter provisoirement le foncier pour des jeunes qui ne peuvent pas y accéder ou évitera que certains ne procèdent à l’agrandissement.

Ce fonds vient consolider les ambitions de la loi d’orientation. On souhaite d’ici à mai délivrer les premières enveloppes à destination du fonds porté par les Safer et d’autres fonds de portage de foncier. Il y aura un appel à manifestation d’intérêt.

Le statut du fermage est critiqué en particulier par les propriétaires. Il est jugé trop déséquilibré et peut pousser des bailleurs à ne plus louer leurs terres. Des modifications sont-elles envisagées ?

J’y suis opposé. Le statut du fermage est un outil puissant de compétitivité agricole. C’est un droit d’exception qui a beaucoup protégé les agriculteurs, notamment contre la spéculation. J’entends la volonté d’ouvrir le bail, mais je pense que ça ne favorisera pas moins les apporteurs de capitaux.

Au sujet du contrôle des structures, il faut déjà que l’on fasse en sorte qu’il s’exerce. Les outils, inventés par Pisani et assez peu touchés depuis, étaient de bons outils de régulation. La loi Sempastous, votée récemment, produit des effets. On attend le retour des Safer.

« Le fonds de portage «entrepreneurs du vivant» va se déployer à partir du printemps, en lien notamment avec les Safer », explique Marc Fesneau. (©  Guillaume Collanges)

Comment peut-on définir votre loi d’orientation ?

C’est le temps qui dira comment les gens l’auront vécue. J’espère, comme une grande loi de restauration de la confiance, sur la souveraineté, les outils de la simplification et de la formation pour conserver cette dernière et pour servir une cause : le renouvellement des générations dans un contexte de changement climatique. Le sujet, c’est la souveraineté, et la souveraineté, c’est notamment l’installation et la simplification. J’aimerais qu’on en dise ça.

Les gens disent toujours qu’il y a tout dans une loi d’orientation. Ce n’est pas exact. La loi de Pisani, c’était plutôt les structures, les Cuma, les Gaec… La loi d’orientation de Rocard, c’était plutôt l’enseignement agricole, la loi de Le Foll, c’était plutôt l’agroécologie, et la loi de Travert, c’était plutôt la répartition de la valeur Egalim et le dialogue avec les citoyens.

Quelle échéance est visée pour l’adoption du projet de loi d’orientation alors qu’un nombre d’amendements importants et de longs débats sont attendus ?

L’examen débutera le 30 avril en commission, le 13 mai en séance à l’Assemblée nationale, avec un vote avant la fin du mois, puis un examen la deuxième quinzaine de juin au Sénat. Nous espérons que la loi soit définitivement adoptée dans l’été.

« Nous espérons que la loi soit définitivement adoptée dans l’été », prévoit Marc Fesneau. (©  Guillaume Collanges)

Êtes-vous ouvert à d’autres initiatives législatives qui viendraient nourrir le texte ?

Les questions foncières seront sans doute abordées. Il y aura peut-être des choses sur les questions de simplification que l’on va ajouter ou que les parlementaires vont ajouter. J’ai été ministre des Relations avec le Parlement, et donc j’assume très bien de dire que mon texte n’est pas parfait et que les parlementaires doivent encore l’améliorer. Vous ne m’avez jamais entendu dire qu’il n’y a rien à changer, il n’y a rien à bouger, il n’y a rien à discuter. Il va donc être enrichi du travail que l’on continue à faire sur la simplification et de ce qu’auront à apporter les parlementaires.

Il y a aussi des initiatives parlementaires qui pourront venir dans des textes ad hoc, je pense par exemple aux sujets sur les produits phytosanitaires et l’usage de drones notamment. C’est intéressant que ces initiatives prospèrent. Il y a aussi un travail réalisé par les parlementaires Anne-Laure Babault et Alexis Izard sur la question d’Egalim pour savoir ce dont on a besoin dans Egalim et comment faire pour qu’Egalim s’applique mieux.

Pouvons-nous imaginer que son issue passe par une commission mixte paritaire ?

J’espère et je ferai tout, pour ma part, pour travailler dans cet esprit avec l’Assemblée nationale et le Sénat.

Comment voyez-vous ce débat parlementaire ?

Il sera long, et il y aura beaucoup d’amendements, et peut-être un peu de démagogie. Il faut trouver un point d’équilibre. On prendra le temps qu’il faut sur ces sujets importants, mais si certains veulent jouer à faire planter le texte, et le faire durer le plus longtemps possible, je ne suis pas sûr que les agriculteurs soient gagnants.

C’est l’intérêt des agriculteurs d’effectuer les transitions. Nous voyons bien qu’il y a des systèmes en bout de course du fait du dérèglement climatique. C’est l’intérêt de simplifier pour qu’ils puissent s’armer face à ses transitions. Après si l’idée de la simplification, c’est supprimer toutes les règles, alors il n’y a pas de démocratie. Il y a besoin de règles.

Il pourra y avoir des tentations sur le thème « arrêter de nous ennuyer », mais il y a intérêt à avoir des pratiques qui aillent dans le sens de la transition. C’est aussi la question du rapport aux citoyens. Lorsqu’il y a 400 000 agriculteurs et qu’il y a 65 millions d’habitants, il y a intérêt à ce que les gens comprennent ce que les agriculteurs font.

Il n’est pas question d’utiliser l’article 49-3 durant le débat ?

Non. Ce texte, c’est aussi une réponse aux attentes du terrain. C’est le fruit d’une concertation de six mois. Et on l’a enrichi en écoutant les attentes de simplifications. S’il y a des gens qui veulent planter le texte, ils iront rendre des comptes aux agriculteurs, qui attendent des simplifications sur l’eau, sur l’élevage, la haie, sur le statut des chiens de troupeaux.

Le mieux est l’ennemi du bien, mais cela ne veut pas dire que le texte est figé. Je compte bien sur la majorité et les oppositions qui ont envie d’aboutir pour trouver un terrain d’atterrissage.

« Le chapitre simplification est ouvert dans la loi et se poursuivra avec le débat parlementaire. » (©  Guillaume Collanges)

Sur le chantier de la simplification, quelles mesures restent à mettre en œuvre ?

Dans ce qu’il reste à faire, on expertise les 3 000 propositions remontées du terrain, qui sont maintenant regroupées en 300 thèmes, pour voir ce qui relève du niveau législatif ou du réglementaire. Le chapitre simplification est ouvert dans la loi et se poursuivra, notamment avec le débat parlementaire.

Il y a toute une ribambelle de simplifications à réaliser. Par exemple, il faut être en défaut de paiement pour bénéficier du plan d’allègement de charges de la MSA, et on ne peut pas accompagner ceux qui se mettent en frais pour continuer à payer ces charges, même s’ils sont en situation difficile. On travaille sur ce sujet avec la MSA.

Autre exemple sur les zonages : comment ils se combinent les uns et les autres, comment les rendre accessibles aux agriculteurs, comment sinon les simplifier : on ne peut pas avoir quatre zonages qui se superposent sur une même parcelle et qui ne sont pas de même nature.

Enfin, je tiens beaucoup à la simplification déclarative dans tous les formulaires, dans toutes les demandes. Ce sont des changements de système informatique, mais qui viennent simplifier la vie concrète des agriculteurs. Il faut aller vers des systèmes comme celui que l’on a pour les impôts.

Emmanuel Macron a prévu de prendre prochainement la parole sur le sujet agricole. À quelle date aura-t-elle lieu ?

Bientôt. Ce sera au début d'avril. Maintenant que nous avons déblayé les sujets de court moyen terme, le président pourra avoir une parole plutôt sur le moyen et long terme. Ce qui est attendu par le monde agricole, c’est du concret, mais aussi une vision. C’est ce sur quoi portera le message du président de la République à l’agriculture.