Le 16 décembre 2025, le Parlement européen a validé à une large majorité (431 voix pour, 161 contre et 70 abstentions) la mise en place du mécanisme de sauvegarde sur les importations de produits agricoles en provenance des pays du Mercosur, censé protéger les producteurs européens en cas de perturbations des marchés. Ce vote marque une nouvelle étape dans une bataille parlementaire orchestrée pour entraver la conclusion de l’accord commercial.
Une manœuvre parlementaire assumée
« On a réussi à faire passer un certain nombre d’amendements qui risquent de compliquer les négociations en trilogue [entre les trois institutions de l’Union européenne participant au processus législatif : la Commission, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement, N.D.L.R.]. C’était l’objectif », reconnaît sans détour Jérémy Decerle, eurodéputé Renew, contacté par La France Agricole le 16 décembre 2025.
En apparence technique, ces ajouts traduisent donc une stratégie politique. Comme le texte voté par les eurodéputés diffère de celui approuvé par les États membres le 19 novembre dernier, le trilogue est inévitable. Il s’ouvre dès ce 17 décembre 2025.
« Dire j’accepte le Mercosur et je promeus des clauses miroirs, c’est de l’hypocrisie » (27/10/2025)
Par ailleurs, l’accord Mercosur ne figure pas à l’ordre du jour du Conseil européen, qui débute demain, 18 décembre, alors même que la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, doit se rendre au Brésil le 20 décembre pour un sommet des pays du Mercosur.
La cheffe de l’exécutif européen espérait obtenir le feu vert des Vingt-Sept avant son départ, mais l’agitation de Paris pour bloquer l’accord perturbe sa stratégie. Par ailleurs, si la France ne comptait plus sur la constitution d’une minorité de blocage au sein du Conseil, la situation semble virer de bord.
Une coalition hétéroclite possible
Pour bloquer une décision au Conseil, il faut en effet réunir au moins quatre États membres représentant plus de 35 % de la population européenne. « Aujourd’hui, l’Italie et la France ont officiellement pris position en demandant le report », explique Jérémy Decerle, qui ajoute : « Elles menacent de voter contre si elles ne l’obtiennent pas ».
Et la coalition s’élargit : plusieurs pays ont rejoint le « bateau des « non » », poursuit l’eurodéputé qui liste sous réserve la Pologne, la Hongrie, l’Irlande, la Grèce — qui pourrait basculer suite aux manifestations liées aux problèmes de paiement des aides Pac… Quant à la Roumanie, elle demeure hésitante. « À l’heure où on se parle, on a donc la minorité de blocage », affirme Jérémy Decerle. Une affirmation qu’il tempère néanmoins en évoquant l’Italie qui « peut changer d’avis du jour au lendemain ».
Ce mercredi 17 décembre, Emmanuel Macron a prévenu en Conseil des ministres que « la France s’opposerait de manière très ferme » s’il y avait « une volonté de passage en force de la part des instances européennes », a rapporté Maud Bregeon, la porte-parole du gouvernement. Le président de la République juge toujours qu’il n’y a « pas de visibilité suffisante sur les trois conditions demandées » par la France : « les mesures miroir, la clause de sauvegarde et les contrôles ».
La Première ministre italienne Giorgia Meloni a pour sa part estimé qu’il était « encore prématuré » de signer « dans les prochains jours » le traité de libre-échange. La position de l’Italie, jugée décisive, était particulièrement attendue. Pour autant, la France « ne considère pas comme acquis » un report de la signature du traité, a précisé Maud Bregeon. Mais la position de Rome « est bien la preuve » que « la France n’est pas seule et que d’éminents pays européens sont alignés aujourd’hui avec la position que porte le président » Emmanuel Macron, a-t-elle ajouté.
Des avantages stratégiques au report
Cette dynamique de blocage s’accompagne d’un calcul politique précis. Repousser l’accord au-delà de la fin de l’année le rendrait plus vulnérable. En janvier, la présidence tournante du Conseil quittera les mains du Danemark, partisan du Mercosur, pour échoir à Chypre, bien moins engagé sur le dossier.
Une saisine juridique plane par ailleurs sur l’accord, dont les adversaires espèrent qu’elle en retardera l’adoption. Enfin, la mobilisation des agriculteurs français pourrait peser dans les arbitrages à venir.