Dans le cadre de son plan de soutien au développement des protéines végétales lancé en 2020, le Gouvernement avait annoncé son objectif : +40 % de surface affectées aux légumineuses (à graines mais aussi fourragères) entre 2020 et 2023, pour atteindre 1,4 million d’hectares ; et 2 millions d’hectares en 2030.
Pour l’heure, du côté des graines, la dynamique ne se reflète pas encore dans les surfaces engagées et la production. En 2022, 433 000 hectares de pois, soja, féverole, lupin avaient été implantés en France pour une production totale de 0,9 million de tonnes ; un chiffre en baisse de 21 % par rapport à 2021 (voir le graphique ci-après). Les données de 2023 semblent être de meilleur augure, mais ne sont pas encore stabilisées.
De nouvelles filières
Il faut dire que la structuration des filières est un vaste travail, d’autant que chaque légumineuse et chaque région ont leurs spécificités. Mais les projets de territoire se multiplient en France : « Leggo » dans le grand Ouest, « Protéi-NA » en Nouvelle-Aquitaine, « Filoleg » dans les Hauts-de-France, « GranAura » en Auvergne-Rhône-Alpes… Pionnière en 2017, « Fileg » en Occitanie est entrée en 2022 dans sa phase de déploiement après plusieurs années d’étude de faisabilité et de structuration. Des partenariats entre les acteurs ont vu le jour ces dernières années, à l’image du groupe Bonduelle et de la coopérative Euralis (Sud-Ouest), qui ont conjointement créé une filière « légumes secs » en 2022. 1 000 ha de lentilles, haricots secs et pois chiches ont été mis en œuvre en 2023.
En partenariat avec Vivien Paille (groupe Avril), la coopérative Unéal a également lancé en 2022 l’expérimentation de la culture de lentilles vertes en région Hauts-de-France. Objectif : proposer un nouveau débouché aux adhérents, pour une marge semi-nette pouvant atteindre 1 105 à 1 285 €/ha. « On ne produit pas en France ce que l’on consomme, 50 % des lentilles vertes sont importées », avance Colombe Decerisy, référente agronomique sur les protéagineux chez Unéal. Au total, 40 hectares ont été cultivés en 2022-2023 chez sept producteurs (lire témoignage p.47). « Malgré des conditions peu propices à la production de lentilles, 2,2 t/ha ont pu être récoltées sur certaines parcelles, permettant à la coopérative de poursuivre le projet », détaille Unéal. 28 tonnes ont été livrées l’an dernier à l’usine Vivien Paille de Valenciennes (Nord). La coopérative ambitionne pour 2023-2024 de développer cette culture sur 100 ha dans la région.

Concurrence entre cultures
Recherche fondamentale, innovations, structuration économique, gestion des risques, … Pour enclencher un mouvement de fond, « il faut systématiquement mener de front plusieurs chantiers », estime Laurent Rosso, directeur général de Terres Univia. Et « il faut être conscient d’où l’on part », juge-t-il, en s’appuyant sur un exemple : l’absence d’observatoire dédié à ces cultures au sein de FranceAgriMer.
De nombreux projets ont été menés ces dernières années et apportent leur pierre à l’édifice. Dans le cadre du programme Cap protéines, Terres Inovia et Terres Univia ont mis en place un observatoire des prix payés aux producteurs pour le pois, le soja, la féverole, la lentille, le pois chiche et le lupin, en partenariat avec la Coopération agricole et la Fédération nationale des négoces agricoles. « Il y avait une lacune sur ces données », estime Vincent Lecomte, chargé d’étude chez Terres Inovia. Or, comme il l’explique, « des travaux d’agroéconomistes ont montré qu’au sein d’une filière, l’échange de d’information favorise leur développement et diminue le risque des acteurs ».
Les données récoltées seront notamment utilisées au travers d’études agroéconomiques. « Elles sont fort utiles pour évaluer objectivement l’intérêt de l’introduction de ces espèces dans les rotations », note-t-il. Il faut dire qu’elles sont, de fait, mises en concurrence avec d’autres grandes cultures. Mais tout comme les céréales et oléagineux, « sur la période de collecte des données de l’observatoire [2019-2020, 2020-2021 et 2021-2022], le marché des légumineuses à graines est plutôt haussier », souligne l’expert. Par exemple en pois fourrager, le prix moyen national a connu une hausse de 13 % entre 2019 et 2020, et +33 % entre 2020 et 2022. « On observe cette tendance pour toutes les espèces, sauf le pois chiche et la lentille qui sont stables ». Selon l’expert, cette progression s’explique à la fois par la dynamique de la demande, et par le besoin pour les industriels de maintenir les volumes face à la rentabilité relative des autres grandes cultures.

La restauration collective tire la demande
« Tout l’enjeu réside dans le partage de la valeur entre les acteurs de la filière », explique Vincent Lecomte, qui plaide pour la contractualisation. « Mais avec la végétalisation des repas, la dynamique est plutôt positive. » Le débouché de la restauration collective est notamment porteur, poussé par de récentes évolutions réglementaires. La loi Egalim, puis la loi Climat et Résilience, y ont instauré des options végétariennes.
Ainsi, en 2022, tous les curseurs d’achats de légumes secs en restauration hors domicile (RHD) étaient aux verts : +18 % en volumes sur un an pour les produits bruts, et +16 % pour les références appertisées et surgelées. Dans ce secteur, c’est la lentille qui est plébiscitée en raison de sa facilité de mise en œuvre. Côté grandes et moyennes surfaces (GMS) toutefois, les ventes de légumes secs bruts reculent, « en particulier pour la lentille qui a été soumise à une forte inflation (+31 % sur le conventionnel) ». Celles des produits en conserve ou en bocal, plus pratiques, se maintiennent.
Autre débouché qui a du potentiel : l’alimentation animale en agriculture biologique. Les tourteaux et les extrudas de soja bio sont notamment recherchés, également sous l’impulsion d’une évolution réglementaire (suppression de la dérogation de 5 % de matières protéiques non bio pour les granivores). Le prix moyen triennal relevé du soja bio à destination de l’alimentation animale est de 704 €/t (296 €/t de plus qu’en conventionnel).
La Pac 2023-2027 se veut par ailleurs plus incitative quant aux cultures riches en protéines. Des aides couplées d’environ 104 €/ha ont notamment été ouvertes pour les légumes secs. L’ambiance générale semble ainsi encourageante ; rendez-vous dans quelques années pour tirer le bilan.