Second tavernier du village, Pierre Marlin faisait aussi hôtellerie, avec sa femme Agnès Dailly, à Maffliers dans le Val-d’Oise. Chez eux, il y avait toujours quelques quartiers de lard au saloir, des volailles au poulailler et à la cave un bon muid (1) de vin. Le linge s’accumulait pour répondre à la clientèle. En 1653, vingt-et-un draps et seize nappes de toile de chanvre s’entassaient dans leurs coffres. Les dimanches et fêtes, la maîtresse de maison paraissait avec ses plus beaux atours : croix d’or, bague et boucle de ceinture en argent, robe de drap noir avec tablier de damas à attaches d’argent, cotte rouge garnie de son corps de damas à fleurs.

Une petite boutique avec une table à deux tréteaux

Le patron prêtait, mais surtout aux petites gens. C’est chez lui que le charretier Cheron avait mis en gage, en janvier 1640, l’épée qu’il avait décrochée à la cheminée, pour régler ses consommations. Chez lui aussi que Louis Crespin, un pauvre manouvrier, avait dû aller quérir « plusieurs fois » sa subsistance : de sa croix malhabile, il avait dû signer à son profit une obligation de 15 livres « tant pour argent presté que pour pain, vin, et viande fournie et délivrée audit débiteur ».

Pierre Marlin trafiquait un peu de tout. Pour recevoir ses clients, il avait installé une petite boutique avec une table à deux tréteaux. Il disposait de deux fusils, deux pistolets à fusil et deux épées. En 1651, il achetait et livrait deux milliers de fagots. Aussi tenait-il « un livre journal concernant sa maison et profit de marchandises » où il rangeait les promesses et les obligations, y compris de débiteurs insolvables. Ne retient-on que les bonnes créances que notre tavernier disposait de 400 livres de placement !

Trois décennies de crédit rural

À son décès, en 1668, on retrouve chez lui une véritable petite fortune : 576 livres en louis d’or, écus et demi-écus d’argent, et monnaie. Quant à la collection des titres de Pierre Marlin, elle assure l’historique de trois décennies de crédit rural. L’une après l’autre, s’accumulent promesses, obligations et sentences consulaires contre les débiteurs défaillants. En dehors de quelques prêts assurés à l’extérieur — souvent les villages limitrophes comme Nerville et Montsoult — les créances du tavernier font comparaître presque tous les personnages du village.

Arrivent ainsi tour à tour, Jean et Jacques Bigot, les frères maçons, Nicolas Surcin, le cercelier (2), Philippe Surcin, le tailleur d’habits, Innocent Deville, le manouvrier-tuilier, Guillaume Charpentier, l’ancien domestique du curé, Nicolas Bucquet, le gros laboureur, Jean Dupin, l’ancien pâtre du village, Pierre Collet, le manouvrier rebelle, Nicolas Pellerin, l’un des marchands du cru, Thomas Mazier, le cordonnier, Adam Bobye, le confrère hôtelier, Jean Cottier, le maçon en plâtre, Nicolas Provins, le petit laboureur, Noël Monnier, l’un des deux charcutiers, Charles Pellerin, le charpentier, Michel Lefort, le laboureur fourbe, et Nicolas Malice, l’ancien charretier.

À tous, Pierre Marlin avait accordé des prêts et fait signer des engagements. Cependant ce crédit, accordé en général pour des besoins courants, n’était pas hypothécaire. Pierre Marlin ne faisait point main basse sur le lopin de ses débiteurs. Il n’était pas à la tête d’un crédit foncier, mais se spécialisait plutôt dans celui à la consommation.

(1) Tonneau. (2) Fabricant de cercles en châtaignier pour tonneaux et barriques.