« Dans une exploitation, quand il y a un pépin, le fusible qui saute, c’est l’administratif. La ferme, il faut qu’elle tourne. » Le constat de Laurine Mottaz, consultante administrative, n’est pas nouveau. Mais quand les papiers s’accumulent sur le bureau, les conséquences peuvent pourtant bien réelles sur l’exploitation : non-versement des aides PAC, cotisations sociales non adaptées… Elles engendrent un cercle vicieux dont il devient difficile de s’extraire.

Après un passage en chambre d’agriculture « frustrant » en tant que conseillère, Laurine décide de créer pendant le confinement, en 2020, ce métier qui « n’existait pas » : consultante administrative agricole. Des rendez-vous réguliers plusieurs fois par mois pour faire de la précomptabilité jusqu'aux dossiers de subvention ou de déclaration PAC en passant par des études stratégiques… L’accompagnement s’adapte à chaque agriculteur.

Nadine Orsat, assistante sociale et Laurine Mottaz, consultante administrative, sont à l'origine de l'aide au répit administratif. (© J.Malin/GFA)

« Rassurer » sur l’administratif

« J’ai été contactée pour jeter un coup d’œil sur un dossier », atteste Carine Ardi, dans le métier depuis avril dernier en Eure-et-Loir. « Une petite vérification » et un « regard extérieur », sont parfois juste ce que recherchent les agriculteurs, pour éviter une erreur qui arrive vite dans des démarches administratives complexes. Pour certains, il s’agit surtout de les « rassurer », analyse de son côté Laurine. D’autres ont au contraire, « une confiance aveugle ». « Certains étaient en alpage, j’étais en totale autonomie », se rappelle Laurine Mottaz. Jusqu’à interroger son propre rôle. « Déléguer c’est bien, mais il faut faire attention jusqu’où, avertit la consultante, C’est important que les agriculteurs aient accès à leurs comptes et qu’ils restent maîtres de leur exploitation. »

« On a vite vu qu’il fallait déléguer », observe Guillaume Dumoulin, éleveur de vaches laitières. Il fait appel à une secrétaire tous les trimestres. « En trois heures, elles font ce que nous faisons en deux jours. Nous, on arrive plus tard après les vaches. Et on arrête s’il y a des personnes qui viennent sur la ferme. D’une fois sur l’autre, on perd du temps à chercher… Elles ont l’habitude, c’est beaucoup plus rapide. »

Plus que du temps gagné, les rendez-vous se transforment presque en session coaching comme en témoigne Florent Agnoletti. La confiance est un outil clé de cette délégation qui s’immisce dans la vie des exploitations. Carine Ardi accueille les agriculteurs dans son bureau. Elle a vu la confiance s’accroître au fil de ses rendez-vous : « Des clients reçoivent un courrier et ne se prennent plus la tête à essayer de comprendre. Ils me l’envoient directement en demandant ‘qu’est-ce qu’il faut que je fasse’ ? ».

Parfois, il s’agit seulement d’une demande ponctuelle. Nicole, agricultrice en vaches laitières, a fait appel aux services de Laurine Mottaz pour réaliser un document unique d’évaluation des risques au moment d’accueillir un apprenti. « J’étais assez pressée. J’ai appelé directement Laurine. Contrairement à la chambre d’agriculture qui propose des formations. Avec elle, c’est quand on veut. Et je la connaissais. »

Le coût d’une assistante administrative varie entre 30 € de l’heure pour de la comptabilité classique à plus de 60 € pour un dossier Pac, auxquels les frais de déplacement s’additionnent.

Signe que le filon marche, des réseaux classiques d’expertise comptable s’y mettent aussi. En Poitou-Charentes, CerFrance propose un accompagnement « de 8 heures par an à 8 heures par semaine », pour des tâches allant de la gestion des factures, à la création des espaces professionnels en ligne, jusqu’à la planification de rendez-vous. De même, d’autres professionnels se positionnent pour accompagner les agriculteurs dans leur commercialisation en circuits courts, en animant leurs réseaux sociaux.

Des indépendantes en autoformation

Sans qu’il y ait encore de données statistiques sur le sujet, de plus en plus d’indépendantes se mettent au diapason agricole, désireuses comme l’exprime Laurine, de « se sentir utile » auprès d’agriculteurs. Formation, réseau, ou expertise, il reste encore tout à construire. Malgré un groupe WhatsApp d’un peu moins de vingt secrétaires indépendantes « pour s’autoformer », « ce n’est pas évident d’avoir toutes les informations » sur le secteur agricole, observe Laurine. « Dès que les clients demandent des aides précises, les secrétaires sont un peu coincées » par le manque d’informations.

L’élan est aussi porté par la MSA qui recherche des assistantes administratives pour déployer l’aide au répit administratif (lire encadré). Des femmes d’agriculteurs qui s’occupaient de la comptabilité ont aussi été recrutées, dans ce métier aujourd’hui quasiment exclusivement féminin. « Nous avons beaucoup fait appel aux réseaux de secrétaires indépendantes sur les réseaux sociaux pour aller sur le terrain agricole », explique Laurine, à l’origine de la création de l’aide. Avec leur proximité, les prestataires pourraient bien devenir des alliés essentiels des agriculteurs.