Lors d’un voyage au Canada, Thibaut Mathé passe une semaine chez une maraîchère. Il y découvre le délice qu’est la fleur d’ail utilisée en condiment. Au moment de son départ, la maraîchère québécoise lui remet quelques pieds d’ail et un papier sur lequel elle a écrit sa recette secrète. À l’automne suivant, Thibaut en plante un rang dans le jardin de ses parents. Avec sa première récolte et la précieuse recette, il produit dix pots qu’il distribue autour de lui. Un chef cuisinier de Niort y goûte et en demande davantage.
En 2016, alors âgé de 23 ans et salarié d’une coopérative, Thibaut s’installe sur un unique hectare. Dans les Deux-Sèvres, son exploitation se trouve dans un quartier de Niort qui ressemble à un village entre ville et campagne. La ferme d’origine, dans la famille depuis plusieurs générations, est aujourd’hui exploitée par un de ses oncles avec un associé.
Un prix gastronomique
Deux ans plus tard, alors qu’il vient de quitter son emploi à la coopérative, tout s’effondre. Le magasin de producteurs « Plaisir fermier » qui écoule une bonne partie de sa production, lui signale que les couvercles gonflent. Les fleurs d’ail ont fermenté. « La production était fichue. » Thibaut Mathé reprend tous ses pots et, la mort dans l’âme, décide d’arrêter. Jusqu’à ce qu’il reçoive l’appel d’une critique gastronomique qui lui apprend qu’il a remporté un prix et qu’il doit absolument continuer. Il revoit alors tout son process avec l’aide du Critt (1) agroalimentaire de La Rochelle. « Quand j’y repense, je suis content d’avoir eu cette expérience. Elle m’a donné une meilleure maîtrise du produit. Elle m’a permis aussi de me professionnaliser. Maintenant, tout est écrit. »
Thibaut rachète de la semence d’ail et, en mai 2019, réalise une très grosse récolte. Les pots de fleurs d’ail sont de retour dans les magasins de producteurs et chez les restaurateurs de Niort. Avec désormais de jolies étiquettes sur les bocaux et une appellation, « La régalade », les fleurs d’ail rencontrent un franc succès. Le magasin de producteurs a perdu un maraîcher et lui propose de faire de la pomme de terre. Son oncle, qui en avait produit quelques années auparavant, lui prête du matériel.

Diversification et agrandissement
« Ça m’a permis de commencer à me diversifier. Je me suis retrouvé avec des pommes de terre à vendre. Les gens venaient en chercher à la ferme. Alors je me suis organisé et je fais une vente tous les vendredis après-midi. » À sa gamme de légumes, il a ajouté des courges, des tomates de plein champ et des poivrons, puis des poireaux. Et pour étoffer son magasin ponctuel, il fait aussi appel à d’autres producteurs. Les pommes de terre l’ont aussi amené à proposer des frites. « Avec des copains, on a acheté une rôtissoire. On participe aux marchés gourmands à l’ancienne laiterie de Coulon. Et tous les vendredis de juillet et août, il y a un concert ! »
La toute petite exploitation de Thibaut Mathé s’étoffe peu à peu, passe de 1 à 3 ha, puis à 6 ha. En 2023, elle s’agrandit de 100 ha supplémentaires avec la reprise des terres d’un voisin. Il y cultive blé, orge, tournesol, colza, lin et pois. Avec les terres, il a aussi obtenu le matériel, mais pas les bâtiments. « Il me fallait trouver un site pour stocker du matériel. » C’est chose faite avec un hangar flambant neuf encore en cours d’aménagement. Il doit aussi abriter, pour les pommes de terre, des chambres froides alimentées par les panneaux photovoltaïques déjà installés sur le toit.

Les productions s’organisent, et notamment celle d’ail. Le laboratoire a été aménagé dans l’ancienne laiterie de Coulon, qui ne transforme plus de lait, mais abrite plusieurs producteurs et artisans. C’est là que se font désormais l’étiquetage et le stockage des pots de fleurs d’ail. « J’ai fait de gros investissements en peu de temps. C’est un coup dur sur la trésorerie », souligne Thibaut.
(1) Centre régional d’innovation et de transfert de technologies.