"Je n'ai jamais cru à des pénuries dans de tels marchés de commodités : les volumes sont tellement considérables à l'échelle planétaire qu'il y a toujours un flux où s'approvisionner. Là, il n'est pas complètement exclu qu'il y ait des ruptures dans la chaîne" d'approvisionnement des engrais minéraux, a alerté Nicolas Broutin, président de Yara France, en conférence de presse le 20 septembre 2022.

65 % des usines Yara à l'arrêt en Europe

Le marché des engrais est en effet "extrêmement tendu". Depuis le début de l'année 2021, le prix du gaz, qui sert à la fabrication de l'ammoniac utilisé dans les engrais, a explosé, avec une hausse de 341 %. Dans ce contexte, la fabrication de l'ammoniac en Europe coûte actuellement deux fois plus cher que de l'acheter sur le marché international, selon le président de Yara France. "C'est la raison pour laquelle une grande partie de l'industrie européenne a stoppé sa production depuis le mois d'août", précise Nicolas Broutin.

65 % des capacités de productions de Yara, leader du secteur, sont actuellement à l'arrêt en Europe, "pour une durée indéterminée, car le marché du gaz reste haut et volatil", indique Nicolas Broutin. Les sites les plus en difficultés sont ceux situés dans les terres et qui ne peuvent pas importer d'ammoniac par la mer, selon le président de Yara. "On arrive bientôt en période d'application des engrais, et les usines sont à l'arrêt pendant la période préparatoire de la saison agricole, s'inquiète-t-il. On fait également face à unenjeu de transport considérable en Europe et en France, avec des difficultés à trouver des camions."

Fermeture imminente d'une usine belge

L'usine Yara de Tertre, en Belgique, qui approvisionne 20 à 25 % du marché français, devrait "s'arrêter complètement dans les jours à venir, a annoncé Nicolas Broutin. On essaie de trouver des solutions pour combler les futures absences de l'usine belge", assure-t-il.

Les deux usines Yara qui produisent des engrais en France à partir d'ammoniac importé, situées en bordure maritime à Ambès en Gironde et à Montoir-de-Bretagne en Loire-Atlantique, fonctionnent "à plein". Malgré cela, la France importe 60 % de ses besoins en engrais du marché extérieur.

"Les productions françaises ne peuvent pas augmenter, car elles sont limitées par les ateliers nitriques. Augmenter les capacités ou construire un nouvel atelier prendrait plusieurs années", estime le président de Yara France. L'ammoniac importé par les usines françaises, qui provenait d'habitude en majorité d'Europe, arrive désormais d'Amérique du Nord, de Trinidad et d'Australie.

"Destruction" de demande nécessaire

Production ralentie, projets de constructions décalés... 5 % de la capacité de production de Yara a été "perdue" à cause de la pandémie. La reprise économique et le marché des céréales porteur ont incité les producteurs à investir dans des engrais, et la demande a augmenté dans un contexte d'offre dégradée. "Le marché du gaz s'est à nouveau emballé avec le conflit en Ukraine, rapporte Nicolas Broutin. Le décalage entre l'offre et la demande reste d'actualité."

Selon lui, seule une "destruction" de la demande peut le corriger. "Certains [agriculteurs] ne peuvent plus investir. On l'a déjà observé l'an passé, avec une baisse de 15 % de la demande, qui devrait perdurer cette année", explique Nicolas Broutin.

"Nous avons besoin d'un soutien pour éviter que la filière s'effondre, insiste-t-il. Si on arrête les usines pendant six mois, on a de sérieux problèmes économiques à la clé. Il faut passer le cap, et surtout travailler sur le long terme, sur de l'hydrogène décarboné, qui nécessite des investissements colossaux."