L’ammoniac, à la base de la fabrication des engrais azotés, est produit à partir d’azote de l’air et d’hydrogène. « La source d’hydrogène la plus pratique provient du gaz naturel, le méthane, explique Nicolas Broutin, président de Yara France. Cependant, fabriquer une tonne d’ammoniac à partir de gaz naturel émet deux tonnes de CO2. Cette réaction a beaucoup de poids sur l’empreinte carbone de l’agriculture. »
Produire de l’ammoniac à bas carbone est une solution, en utilisant de l’hydrogène de l’eau, extrait par électrolyse avec de l’énergie verte ou renouvelable. Yara teste ce procédé à partir du photovoltaïque en Australie, de l’éolien aux Pays-Bas et de l’hydroélectricité en Norvège. « Notre cheval de bataille, c’est où trouver cette énergie électrique, insiste Nicolas Broutin. Le pilote norvégien va délivrer de l’ammoniac vert à partir de 2023. On espère offrir ces solutions décarbonées aux agriculteurs français le plus vite possible. »
En France, un projet de production d’ammoniac à bas carbone porté par Hynamics, filiale de production d’hydrogène du groupe EDF, et Borealis, fabricant d’engrais, est en développement sur le site de production de Borealis à Ottmarsheim, près de Mulhouse. « Dans un premier temps, 15 % de l’hydrogène sera décarboné, explique Pierre de Raphélis-Soissan, de Hynamics. À la fin de 2025, on sera en capacité de produire les premiers engrais décarbonés, qui seront destinés au marché agricole français. »
Souveraineté énergétique
Le conflit entre la Russie et l’Ukraine a eu l’effet d’un « électrochoc » en Europe sur la question énergétique. « La guerre va accélérer les projets de décarbonation. On entre dans un nouveau monde, dont l’électrification fait partie », affirme Nicolas Broutin. Constat partagé par Hynamics et Borealis. « On sent une vraie volonté des pouvoirs publics pour réduire la dépendance énergétique », appuie Pierre de Raphélis-Soissan. Si la décarbonation totale des engrais reste l’objectif, il faudra encore patienter pour l’atteindre. À l’horizon de 2030, Yara vise par exemple 30 % d’ammoniac à bas carbone produit, soit 3 Mt.
« Avant la guerre en Ukraine et les crises gazières, on estimait la production d’ammoniac vert deux à quatre fois plus chère. Ce facteur a été amoindri par l’appréciation significative du prix du gaz naturel, qui a « rattrapé » le coût de l’électrolyse, précise Nicolas Broutin. Les prix vont baisser au fur et à mesure, avec la multiplication des projets d’électrolyse autour du monde. » Le projet alsacien bénéficie, quant à lui, d’un soutien public important. « Il permet de ne pas faire porter le coût de décarbonation au secteur de l’aval », rapporte Pierre de Raphélis-Soissan. « Il est encore difficile de définir le prix final des engrais décarbonés, nuance Bertrand Walle, de Borealis. Beaucoup de paramètres vont faire évoluer les choses, comme la sortie du gaz russe. »