Quand le ministre de l’Agriculture a annoncé le lancement d’une réflexion, en 2018, sur les outils de gestion du foncier agricole, tout le monde s’est réjoui. Mais l’enthousiasme est retombé aussi sec, avec le projet de loi sur le droit à l’erreur. Présenté fin novembre, le texte propose d’expérimenter la réduction ou la suppression du contrôle des structures.

Si la mesure n’a pas trouvé consensus, les restrictions budgétaires qui l’ont motivée ont fait subitement douter de la prise de conscience du ministre face la financiarisation du foncier et à la concentration des exploitations.

À couteaux tirés

Les discussions qui se sont tenues, début 2017, dans les deux hémicycles n’avaient déjà pas rassuré. Leur point de départ : le rachat, courant 2016, de 1 700 hectares de terres céréalières dans l’Indre par un consortium chinois. La transaction avait suscité l’émoi et entraîné, en urgence, l’introduction dans la loi Sapin 2 d’un amendement visant à élargir le pouvoir des Safer. Fin 2016, les Sages le censuraient. Les mêmes dispositions faisaient alors leur retour, quelques jours plus tard, dans deux propositions de loi similaires, émanant chacune d’un groupe et d’une chambre parlementaire. Face à la confusion, les deux textes avaient finalement fusionné, laissant croire à un plébiscite unanime, pour former une seule proposition de loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles. Son objectif était d’instaurer plus de transparence dans l’achat de terres par des sociétés, et d’étendre le droit de préemption des Safer aux parts sociales ou aux actions en cas de cession partielle.

Mais quand ça ne veut pas… Des dissensions se sont vite révélées au sein des camps parlementaires. Le Conseil constitutionnel a fini, une nouvelle fois, par retoquer en partie le texte en mars 2017. Quatre jours plus tard, la loi, amputée, était entérinée. Tout le monde s’accordait enfin… sur son insuffisance et la nécessité d’une grande loi foncière.

Faire table rase

Les travaux sont ainsi relancés. À partir de janvier 2018, une mission parlementaire, chapeautée par le député socialiste Dominique Potier, planchera sur la question foncière. Le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux prévoit de rendre, dans les prochains jours, son analyse des phénomènes d’accaparement. La réflexion de fond promise par le ministre de l’Agriculture devrait ensuite s’organiser.

En attendant, les phénomènes de financiarisation du foncier et de concentration des exploitations agricoles gagnent du terrain. Les Chinois de l’Indre ont récidivé l’été dernier, avec 900 nouveaux hectares de terres agricoles acquis dans l’Allier. Ils ne sont pas les seuls : jusqu’en 2013, les entreprises agricoles familiales françaises exploitaient 60 % des terres (selon la Safer). Or, aujourd’hui, on est à 40 %. L’exploitation familiale n’est plus la seule référence. De très grosses exploitations, avec un capital détenu par des propriétaires nouveaux comme les fonds de pension et les sociétés foncières, se constituent. Si les capitaux restent le plus souvent d’origine agricole, un nouveau modèle apparaît, avec un propriétaire du capital social, un gérant pour organiser le travail, et des salariés, voire une entreprise de travaux agricoles.

Pour quel partage

Résultat : les systèmes de production se simplifient, la main-d’œuvre diminue, tout comme le capital investi à l’hectare et la valeur ajoutée produite à l’hectare. Le prix des terres augmente en revanche, sans plus de lien avec la rentabilité de l’exploitation. Et, en bout de course, c’est l’installation qui trinque.

Pour contrer l’appel du plus offrant, plusieurs voix se font entendre : faut-il aider la transmission par de nouvelles mesures fiscales ? Augmenter les retraites ? La question du statut du fermage est aussi posée. Ses contraintes sont souvent évoquées pour expliquer les réticences des propriétaires fonciers à louer leur bien. Depuis 1946, il a aussi permis les agrandissements, sans que les exploitants aient à supporter le poids du foncier. Le travail à façon renvoie, quant à lui, à la définition de l’agriculteur actif.

Au final, veut-on maintenir les exploitations familiales ? Le contrôle du marché du foncier et des parts sociales s’impose-t-il ? Face à la kyrielle de candidats à l’appropriation des sols, si les moyens et un arbitre manquent, c’est surtout un cap qui fait défaut aujourd’hui.