En mer, on appellerait ce coin des Ardennes françaises une presqu’île. « Depuis Charleville, vous devrez traverser une cinquantaine de kilomètres de forêt avant d’arriver chez nous », avait prévenu Sylvain Noël, en Gaec avec sa femme Armelle Champenois dans la commune de Hierges. Et ce n’est pas exagéré, la dense forêt ardennaise dresse une première frontière naturelle avec la Belgique, avant un dernier bout de France un peu isolé.

« Nous n’avons pas l’impression d’avoir une frontière »

Installés ici depuis 1992 en polyculture-élevage laitier puis allaitant, Sylvain Noël et son épouse répondent sans hésitation à la première question posée. « Nous avons d’excellentes relations avec nos collègues belges », lancent-ils. Il faut dire que leur exploitation n’est éloignée que de quelques centaines de mètres d’une frontière que l’on devine à peine. « Nous n’avons pas l’impression d’avoir une frontière », commente Sylvain.

Mais une première différence majeure est pointée par Sylvain Noël alors qu’il s’approche d’un champ de maïs. « Cette parcelle a été vendue il y a peu. On parle d’un prix de 50 000 euros par hectare », relate-t-il. Des tarifs prohibitifs qui conscrivent l’appétit des agriculteurs français. Il n’est pourtant pas si rare que certains possèdent quelques terres du côté belge. Mais comme dans le cas de Sylvain Noël, ça ne date souvent pas d’hier. « Ma mère est née en Belgique et ces surfaces sont dans la famille depuis un moment », explique-t-il.

Cette situation n’est pas sans conséquences. Détenir des terres dans deux pays, ce sont deux déclarations Pac avec parfois certaines contraintes. « Pour la Belgique, il faut que la déclaration soit terminée au 30 avril. Et il n’y a pas de dérogation. Donc quand nous prévoyons de faire du maïs, il ne faut pas traîner pour les semis et parfois c’est un peu chaud », constate Armelle Champenois. Cela pousse les exploitants à simplifier les démarches, notamment avec la déclaration belge. « Nous faisons le minimum du minimum, sans chercher à gagner le dernier centime », précise-t-elle.

Deux pays entremêlés

Deux déclarations mais aussi double risque de contrôle. L’occasion de comparer les méthodes françaises et belges en la matière. « Je dirais que les Belges sont plus sévères encore que les Français. Nous avons même déjà eu droit à un contrôleur venu contrôler le contrôleur précédent », se souvient l’agricultrice. On frôle l’histoire belge mais la plaisanterie s’arrête là. « J’ai l’impression que nous sommes très souvent contrôlés en Belgique. Et ils ne préviennent jamais à l’avance », déplore Sylvain Noël.

Heureusement, les relations ne se résument pas à l’administratif. Le canton de Givet, dont fait partie la commune, est comme avancé dans le territoire belge bordé par une forêt massive au sud. En conséquence, toute l’activité est tournée vers la Belgique et l’agriculture ne fait pas exception. Pour vendre ses céréales par exemple, le Gaec Noël opère avec un négociant belge qui lui-même stocke des volumes dans le grand silo de la coopérative locale, bien française elle.

Belges et Français se partagent certaines infrastructures comme ici avec ce stockage de céréales. (©  Benoît Devault/GFA)

Le marchand de matériel et mécanicien est belge lui aussi. En revanche, pour les approvisionnements et les produits phytos en particulier, il s’agit d’un vendeur français. « Nous avons essayé de nous approvisionner en Belgique mais c’était compliqué au niveau réglementaire. Ce sont les mêmes bidons mais si sur l’étiquette il est écrit BE à la place de FR, ça ne va pas », explique Sylvain Noël.

« Deux marchés possibles »

Après avoir produit du lait presque toute sa carrière, le Gaec Noël est récemment passé à la viande. Des blondes d’Aquitaine d’une part et des blanc bleu belges de l’autre. Pour vendre les animaux, acheteurs français et belges sont à l’affût, sans vraiment se marcher sur les pieds.

« Le consommateur français préfère la viande rouge mais le Belge ira vers des viandes plus blanches comme du taurillon par exemple. Nous avons deux marchés possibles mais nous ne leur vendons pas la même chose finalement. »

Pour les soins vétérinaires, le choix est plus restreint et c’est aussi vers la Belgique que les éleveurs se tournent. « Il n’y avait personne du côté français et notre vétérinaire n’est pas loin. Une césarienne par exemple, c’est aussi beaucoup moins cher », observe Sylvain Noël.

Là encore, il y a des subtilités : « Notre véto est aussi installée en France pour pouvoir nous fournir des médicaments. Car si elle utilise de la pénicilline de Belgique en intervention par exemple, ce n’est pas réglementaire. Il faut qu’elle soit française », rappelle-t-il.

Une installation belge en France

Dans le canton de Givet, il n’est pas forcément nécessaire de traverser la frontière pour croiser des agriculteurs belges. Dominique Simon, installé en lait et viande avec son épouse et ses trois fils, en est l’exemple. Après avoir exploité à quelques kilomètres de là en Belgique, il décide en 1999 de reprendre une exploitation en France et préparer la future installation de ses fils. « Nous n’avions qu’une petite trentaine d’hectares en Belgique. C’était beaucoup moins cher que maintenant mais déjà pour s’agrandir, ce n’était pas possible », raconte-t-il.

Depuis la ferme des Simon, on aperçoit la Belgique. (©  Benoît Devault/GFA)

La proximité n’empêche toutefois pas quelques surprises à son arrivée. Des accrocs pour la collecte du lait ou l’identification des animaux venus de la Belgique freinent un peu le démarrage. Pour le financement, il lui faudra solliciter une banque belge alors qu’il est encore inconnu du Crédit Agricole local. C’est que la démarche n’est pas si courante, comme le précise son voisin Sylvain Noël. « En général, les Belges essaient de récupérer des terres par ici mais ne veulent pas s’installer. »

L’intégration se passe bien, même si les différences entre les deux pays se font sentir sur certains points. « Ce qui m’a marqué, c’est la bureaucratie française, pointe Dominique Simon. Il faut demander à l’un, puis à l’autre. C’est parfois difficile de trouver un responsable. » Au niveau fiscal également, des disparités se font sentir. Pour l’agriculteur, ça a un impact direct sur l’investissement, favorisé en Belgique. « En arrivant, nous avons vu beaucoup de fermes en France moins équipées qu’en Belgique. Beaucoup de choses sont mieux en France mais la fiscalité, non ! tranche-t-il en souriant. Mais je paie mes impôts en France. »

Après un quart de siècle dans l’Hexagone, aucun regret à l’horizon. « Je vis comme un Français assure-t-il. Sauf pour le football, il ne faut pas les embêter après une défaite », coupe Sylvain Noël, chambreur. Il y a des limites.